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Jules
Supervielle
En 1931, Jules Supervielle, "grand constructeur de ponts
dans l'espace", écrit L'Inconnue de la Seine
où, pour la première fois, l'histoire de la
jeune fille représentée par le masque est racontée.
Le conte, où s'exprime, comme dans toute l'œuvre
du poète, la hantise de la mort, décrit les
pensées de cette Ophélie de 19 ans, alors que
son corps, charrié par le courant, descend la Seine.
"Elle allait sans savoir que sur son visage brillait
un sourire tremblant mais plus résistant qu'un sourire
de vivante." C'est au cœur de sa troisième
nuit dans l'eau, alors qu'elle désespère d'arriver
à la mer, qu'elle est entraînée au fond
du fleuve par un "marin des abîmes". Ils rejoignent
ainsi les Ruisselants, êtres phosphorescents qui tentent,
en vain, de la retenir auprès d'eux. Curieux de son
histoire, elle doit répondre à leurs questions
: "- Et maintenant puis-je savoir d'où vous venez,
lui demande le Grand Mouillé. - Je ne sais plus rien
de moi, ni même mon nom. Eh bien, vous serez l'Inconnue
de la Seine voilà tout. Alors son sourire d'errante
noyée revint sur ses lèvres." Mais la jeune
fille refuse cette existence léthargique où
il faut être attaché pour subsister au fond de
l'eau et laisse son corps remonter à la surface pour
"mourir enfin tout à fait". |
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Herta Pauli
Le 4 novembre 1931, l'actrice et romancière allemande
Herta Pauli publie dans un quotidien, le Berliner Tageblatt,
une nouvelle où elle reprend le titre de L'Inconnue
de la Seine. Alors qu'elle n'était qu'une enfant,
ses parents, qui avaient tous deux un tempérament
suicidaire, l'avaient parfois laissée seule, en tête-à-tête
avec le masque, tandis qu'ils mimaient la mort allongés
sur leur lit. À la disparition de sa mère,
l'année de ses vingt ans, elle avait été
saisie à nouveau par "l'inquiétante étrangeté"
du visage en plâtre. Supervielle lui avait donné
un âge ainsi que l'origine de son nom, Herta Pauli,
elle, indique les raisons de son suicide : abandonnée,
elle se jette dans la Seine à la suite d'un amour
déçu. Le sujet inspire à son tour Ödon
von Horvath dont Herta était très proche.
Elle racontera par la suite comment le projet de leur collaboration
avait avorté : "Écrivons L'Inconnue
de la Seine ensemble, me proposa-t-il un jour, j'étais
heureuse. Mais il s'avéra qu'Ödon n'était
capable ni d'utiliser un schéma tel que celui de
ma nouvelle, ni d'intégrer des idées ou des
propositions d'un autre, quelles qu'elles fussent. Ses personnages
surgissaient, avaient leur vie, propre et faisaient ce qu'ils
voulaient. Lui notait, dans l'impossibilité d'y changer
quoi que ce soit. C'est ainsi qu'est née L'Inconnue
de la Seine, exactement comme toutes ses autres pièces."
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Ödon von Horvath
Horvath reprend le thème du personnage asocial, d'un
être venu d'un autre monde parmi les hommes pour partager
leur sort : Albert, qui est sans travail, décide avec
deux complices, de cambrioler la boutique d'un horloger. Devant
le bâtiment, il rencontre Irène dont il est toujours
amoureux, son nouveau fiancé et l'Inconnue dont la
seule présence entraîne la pièce dans
une atmosphère irréelle et mystérieuse.
Au cours du cambriolage, Albert tue l'horloger. L'inconnue
est le seul témoin, mais n'a aucunement l'intention
de le dénoncer. Dans une scène étrange
où elle lui rend visite, elle transforme, grâce
à son imagination, la chambre d'Albert en un univers
aquatique. Comme si, à travers les lieux qu'elle traversait,
elle n'en désignait qu'un seul, celui de sa propre
mort. Albert, troublé par la jeune fille, lui dit :
"Je crois que tu es la mort." Irène réapparaît
et l'Inconnue disparaît dans l'indifférence de
tous. "Son suicide est interprété comme
un simple départ, banal, anodin, par les autres."
Quelques années plus tard, retournant sur les lieux
du crime, Irène, Albert et leur fils découvrent
dans la vitrine du libraire qui s'est installé à
la place de l'horloger, "le moulage de l'Inconnue"
exposé au milieu des livres. La jeune fille n'est plus
que l'objet de décoration qu'il était dans la
réalité de l'époque. |
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Louis-Ferdinand
Céline
La même année, en 1933, Louis-Ferdinand Céline
publie sa pièce, L'Église, dans une
collection dont la caractéristique consistait à
reproduire en frontispice le portrait de l'auteur. Céline,
qui affirmait : "Je suis contre l'iconographie. Je suis
mahométan. Pas de photo de moi... Je n'aime pas ça",
refuse de se prêter à cette obligation et apporte
à son éditeur une photographie de Amsler et
Ruthardt, Le Masque de l'Inconnue de la Seine. Pourquoi
ce masque et pourquoi cette photographie ? Nul ne sait. La
date mentionnée sous la photographie, 1930, indiquait
sans doute l'année du cliché mais certains l'ont
lue comme la date de fabrication du masque et ont corrigé
l'information par voie de presse en précisant que le
masque était déjà vendu en 1900. Interrogé
sur le sujet, Céline répondit que, sans cette
soudaine polémique, il aurait oublié qu'il avait
vu le masque dans sa petite enfance : "A ce propos, il
faut ce genre d'occasion pour percevoir cette silencieuse
persistance poétique chez les anonymes, qui disparaît
dans le silence aussi sans laisser de traces jamais."
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Conrad Muschler
En mars 1934, cette même photographie est reprise par
Conrad Muschler en frontispice de son roman à l'intrigue
très simple, intitulé lui aussi L'Inconnue
de la Seine. Muschler, botaniste de formation, donne
une version sentimentale de l'histoire de l'Inconnue : à
la mort de sa tante, une jeune orpheline quitte sa province
natale pour venir à Paris en compagnie d'un jeune lord
anglais dont elle tombe amoureuse. Mais déjà
fiancé, le jeune homme part rejoindre sa belle en Égypte.
Madeleine - car elle acquiert au passage une identité
- se jette dans la Seine à l'endroit où ils
s'étaient rendus ensemble. Le succès considérable
de cette histoire un peu mièvre - 250 000 exemplaires
vendus en huit langues différentes - a quelque peu
agacé la critique de l'époque, mais elle a néanmoins
été adaptée au cinéma dans un
film de Frank Wysbar dont Muschler fut le scénariste.
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Nabokov
Vladimir Nabokov, qui se trouve à Berlin au moment
de la parution du roman de Muschler, publie deux mois plus
tard un poème intitulé, également :
"L'Inconnue de la Seine". Nabokov fait référence
au poème de Blok, "L'Inconnue", et pour
la première fois, la jeune femme invite en guise
d'expiation son séducteur "à la dent
en or, et à la cravate bariolée" à
la rejoindre au fond des eaux.
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