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Invention dun monde, lutopie
sapplique à construire des systèmes sociaux et politiques qui posent la question
du pouvoir, une interrogation qui népargne pas sous le masque de
limaginaire le pays dorigine de son créateur : le pouvoir de
lutopie est aussi sa force critique.
Le refus du pouvoir dans
une Cité construite par Raison, Justice et Droiture |
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Remercions le Seigneur, mes très vénérées
dames ! Car voici notre Citée bâtie et parachevée. Vous toutes qui aimez la vertu,
la gloire et la renommée y serez accueillies dans les plus grands honneurs, car elle a
été fondée et construite pour toutes les femmes honorables celles de jadis,
celles daujourdhui, et celles de demain. Mes très chères surs, il est
naturel que le cur humain se réjouisse lorsquil a triomphé de quelque
agression et quil voit ses ennemis confondus . Vous avez cause désormais,
chères amies, de vous réjouir honnêtement sans offenser Dieu ni les bienséances, en
contemplant la perfection de cette nouvelle Cité qui, si vous en prenez soin, sera pour
vous toutes (cest-à-dire les femmes de bien) non seulement un refuge, mais un
rempart pour vous défendre des attaques de vos ennemis. Vous pouvez voir que cest
toute de vertus quelle a été construite, matériaux en vérité si brillants que
vous pouvez toutes vous y mirer, en particulier dans les hautes toitures de
lédifice (cest-à-dire en cette dernière partie), mais il ne faudrait pas
pour autant dédaigner ce qui vous concerne dans les autres parties. Mes chères amies, ne
faites pas mauvais usage de ce nouveau matrimoine, comme le font ces arrogants qui
senflent dorgueil en voyant multiplier leurs richesses et croître leur
prospérité. Suivez plutôt lexemple de votre Reine, la Vierge Souveraine, qui
lorsquelle apprit le suprême honheur quelle aurait de devenir la Mère du
fils de Dieu, shumilia dautant plus en se réclamant la chambrière du
Seigneur. Puisquil est vrai, chères amies, que plus une personne abonde en vertus,
plus elle est humble et douce, puisse cette Cité vous inciter à vivre honorablement dans
la vertu et la modestie. Christine de Pisan, La Cité des Dames, 1405, XIX.
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Toute leur vie estoit employée non par loix,
statuz ou reigles : mais selon leur vouloir, et franc arbitre. Se levoient du lict, quand
bon leur sembloit : beuvoient, mangeoient, travailloient, dormoient, quand le desir leur
venoit. Nul ne les esveilloit, nul ne les parforçoit ny à boyre, ny à manger, ny à
faire chose aultre quelconques. Ainsi lavoit estably Gargantua. En leur reigle
nestoit que ceste clause : FAY CE QUE VOULDRAS. Par ce, que gens liberes, bien nayz, bien instruictz, conversants en compaignies honnestes ont par nature ung instinct, et aguillon, qui tousjours les poulse à faictz vertueux, et retire de vice : lequel ilz nommoient honneur. Iceulx, quand par vile subjection, et contraincte sont deprimés, et asserviz, detournent la noble affection, par laquelle à vertu franchement tendoient, à déposer, et enfraindre ce joug de servitude. Car nous entreprenons tousjours choses défendues : et convoitons ce, qui nous est denié. Par ceste liberté entrarent en louable emulation de faire tout ce, qu'a ung seul voyoient plaire. Si quelqung, ou quelcune disoit beuvons, tous buvoient. Si disoit, jouons, touts jouoient. Si disoit, allons à lesbat es champs, touts y alloient. S'il cestoit pour voller, ou chasser, les Dames montées sus belles hacquenées avecq' leurs palefroy gorrier, sus le poing mignonnement engantelé portoient chascune ou ung esparvier, ou ung laneret, ou ung esmerillon : les hommes portoient les aultres oyseaulx. Tant noblement estoient aprins, quil nestoit entre eulx celluy, ne celle, qui ne sceust lire, escripre, chanter, jouer dinstrumens harmonieux, parler de cinq, et six langaiges, et en icelles composer tant en carme, qu'en oraison solue. Jamais ne furent veuz chevaliers tant preux, tant galants, tant dextres à pied, et à cheval, plus verts, mieulx remuants, mieulx maniants touts bastons, que là estoient. Jamais ne furent veues dames tant propres, tant mignonnes, moins fascheuses, plus doctes à la main, à lagueille, à tout acte muliebre honneste, et libere, que là estoient. Par ceste raison, quand le temps venu estoit, qu'aulcun dicelle abbaye, ou à la requeste de ses parents, ou pour aultres causes voulust yssir hors, avecq' soy il emmenoit une des dames, celle laquelle lauroit prins pour son devot, et estoient ensemble mariés. Et si bien avoient vescu à Theleme en devotion, et amytié : encores mieulx la continuoient ilz en mariage : et aultant s'entreaymoient ilz à la fin de leurs jours, comme le premier de leurs nopces.
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Le gênois : Jallais le faire. Chaque
individu est sous la juridiction immédiate du chef de son emploi. Par conséquent, les
magistrats qui président à chaque fonction sont les juges de tous leurs
subordonnés ; ils les punissent par lexil, le fouet, la réprimande, la
privation de la table commune, linterdiction du temple et du commerce des femmes.
Lorsquun Solarien a tué ou blessé quelquun avec préméditation, on lui
applique la loi du talion, cest-à-dire : la mort, sil a tué ; on
le prive dun il sil en a crevé un à sa victime, du nez, etc. La peine
est atténuée, sil ny a pas eu préméditation, comme dans une rixe. Cette
diminution de peine ne peut cependant être faite que par les triumvirs et non par le
juge. On peut même en rappeler des triumvirs au Soleil, non pour quil change
la peine, mais pour quil fasse grâce, sil le juge convenable. Lui seul a ce droit. Il ny a quune prison dans la Cité, encore nest-ce quune tour où lon enferme les ennemis rebelles. Les accusations ne se font pas par écrit, mais sont portées seulement devant le juge, qui entend les témoins et les réponses de laccusé. Puissance assiste également aux débats. La sentence est rendue séance tenante. Si le condamné en appelle au triumvir, dès le jour suivant la première sentence est cassée ou confirmée. Enfin, le troisième jour, le Soleil ou accorde la grâce, ou maintient définitivement larrêt. Le coupable est obligé de réconcilier avec laccusateur et les témoins, comme avec les médecins de sa maladie, et de les embrasser en signe de paix. La peine de mort nest infligée que par le peuple, qui tue ou lapide le coupable. Ce sont, toutefois, les témoins et laccusateur qui doivent commencer lexécution ; ils nont ni bourreaux, ni licteurs, afin de nêtre pas souillés par le voisinage de tels hommes. Parfois, cependant, on permet au condamné de se faire mourir lui-même. En ce cas, après avoir été exhorté à faire une bonne mort, le coupable sentoure de sacs de poudre et y met lui-même le feu. La Cité tout entière se lamente et prie Dieu de sapaiser ; car les Solariens regardent comme une marque de sa colère lobligation où ils se trouvent de retrancher un membre gangrené de la république. Dailleurs, la sentence ne sexécute que lorsque, par des raisonnements convaincants ils ont persuadé au coupable quil est nécessaire quil meure, et quils lont amené au point de désirer lui-même lexécution de sa sentence. Mais si un crime est commis, soit contre la liberté de la république, soit contre Dieu ou contre les magistrats suprêmes, lauteur est puni sur-le-champ et sans rémission. Daprès la religion, on conduit celui qui doit mourir devant le peuple, et là, on le force à dire les raisons qui pourraient le disculper et à dénoncer les crimes inconnus de ceux qui selon lui méritent la même peine. Il doit accuser aussi les magistrats qui, daprès sa conscience, devraient également périr au milieu des supplices. Si ses raisons sont trouvées bonnes, on se contente de lexiler, et la Cité offre à Dieu des prières et des expiations. Ceux qui ont été dénoncés par le coupable ne sont cependant pas inquiétés, mais seulement réprimandés. Les fautes commises par faiblesse ou par ignorance ne sont punies que par une réprimande et par lobligation dans laquelle on met le coupable de shabituer à la modération, ou de sappliquer à la science ou à lindustrie quil a négligée. Les Solariens se conduisent les uns envers les autres de telle sorte, quon les dirait les membres dun même corps. Campanella (Tommaso), La Cité du Soleil, 1623. |
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IPHICRATE, retenant sa colère. Mais
je ne te comprends point, mon cher Arlequin. ARLEQUIN. Mon cher patron, vos compliments me charment ; vous avez coutume de men faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux-là, et le gourdin est dans la chaloupe. IPHICRATE. Eh ! ne sais-tu pas que je taime ? ARLEQUIN. Oui, mais les marques de votre amitié tombent toujours sur mes épaules, et cela est mal placé. Ainsi tenez, pour ce qui est de nos gens, que le ciel les bénisse ; sils sont morts, en voilà pour longtemps ; sils sont en vie, cela se passera, et je men goberge. IPHICRATE, un peu ému. Mais jai besoin deux, moi. ARLEQUIN, indifféremment. Oh ! cela se peut bien, chacun a ses affaires ; que je ne vous dérange pas. IPHICRATE. Esclave insolent ! ARLEQUIN, riant. Ah ! Ah ! vous parlez la langue dAthènes, mauvais jargon que je nentends plus. ARLEQUIN. Méconnais-tu ton maître, et nes-tu plus mon esclave ? ARLEQUIN, se reculant dun air sérieux. Je lai été, je le confesse à ta honte ; mais va, je te le pardonne : les hommes ne valent rien. Dans le pays dAthènes jétais ton esclave, tu me traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus fort : eh bien, Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice-là, tu men diras ton sentiment, je tattends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable, tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres. Tout en irait mieux dans le monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi. Adieu, mon ami, je vais trouver mes camarades et tes maîtres. (Il séloigne). IPHICRATE, au désespoir, courant après lui lépée à la main. Juste ciel ! peut-on être plus malheureux et plus outragé que je le suis ? Misérable, tu ne mérites pas de vivre. ARLEQUIN. Doucement ; tes forces sont bien diminuées, car je ne tobéis plus, prends-y garde. Marivaux, LIle des esclaves, 1725.
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Létat de murs ou létat
social sans lois, tel que je viens de le crayonner, est le véritable état de
lhomme en société ; et si, après lavoir lu et lavoir vu établi
sur notre ignorance vaincue, on venait encore à dire, ou quil ne peut pas être
substitué à létat de lois, ou quil est impossible dans la pratique, ou
quil entraîne des inconvénients après lui, ou que létat de lois divines et
humaines lui est préférable, on ne mériterait pour toute réponse que dêtre
renvoyé à relire et à réfléchir (r). (r) Si les hommes par impossible acquéraient la faculté, daujourdhui à demain, de se rendre invisibles, ou toute autre faculté qui les rendît les maîtres de la vie et de la fortune les uns des autres, ils ne pourraient plus vivre en société quen convenant de vivre dans légalité morale, seul moyen de navoir plus aucun motif duser de leur faculté et de nen plus user. Cest donc à cet état dégalité que toute raison réelle ou imaginaire les amène. Les seuls lecteurs qui mériteraient dautres réponses sont ceux qui, satisfaits dailleurs de ma spéculation métaphysique et morale, ne demanderaient que des éclaircissements. Je souhaite quil sen trouve beaucoup de cette espèce : car cest par des éclaircissements demandés et donnés que son développement aurait toute sa force, et que la persuasion gagnerait bientôt les esprits aussi généralement que la vérité lexige pour avoir son effet. Dom Léger-Marie Deschamps, Le Vrai système, 1761.
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Puis sadressant à Bougainville, il
ajouta : "Et toi, chef des brigands qui tobéissent, écarte promptement
ton vaisseau de notre rive : nous sommes innocents, nous sommes heureux ; et tu
ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature ; et tu
as tenté deffacer de nos âmes son caractère. Ici, tout est à tous :
et tu nous a prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos
filles et nos femmes nous sont communes ; tu as partagé ce privilège avec
nous ; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues
folles dans tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs. Elles ont commencé à se haïr ; vous vous êtes égorgés pour elles ; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres ; et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. Tu nes ni un dieu, ni un démon : qui es-tu donc, pour faire des esclaves ? Orou ! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me las dit à moi, ce quils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous. Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et quil gravât sur une de vos pierres ou sur lécorce dun de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants de Tahiti, quen penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et quest-ce que cela fait ? Lorsquon ta enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu tes récrié, tu tes vengé ; et dans le même instant, tu as projeté au fond de ton cur le vol de toute une contrée ! Tu nes pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de lêtre, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux temparer comme de la brute, le Tahitien est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature ; quel droit as-tu sur lui quil nait pas sur toi ? Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? tavons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? tavons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos murs ; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772.
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Tout homme âgé de vingt et un ans est tenu
de déclarer dans le temple quels sont ses amis. Cette déclaration doit être
renouvelée, tous les ans, pendant le mois de ventôse. Si un homme quitte un ami, il est tenu den expliquer les motifs devant le peuple dans les temples, sur lappel dun citoyen ou du plus vieux ; sil le refuse, il est banni. Les amis ne peuvent écrire leurs engagements ; ils ne peuvent plaider entre eux. Les amis sont placés les uns près des autres dans les combats. Ceux qui sont restés unis toute leur vie sont renfermés dans le même tombeau. Les amis porteront le deuil lun de lautre. Le peuple élira les tuteurs des enfants parmi les amis de leur père. Si un homme commet un crime, ses amis sont bannis. Les amis creusent la tombe, préparent les obsèques lun de lautre ; ils sèment les fleurs avec les enfants sur la sépulture. Celui qui dit quil ne croit pas à lamitié, ou qui na point damis, est banni. Un homme convaincu dingratitude est banni. Saint-Just, Fragments sur les institutions républicaines, 1793. |
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