Abraham Bosse
L'Espagnol et son laquais, 1635

Eau-forte. 340 x 250
BNF, Est., Ed 30, rés.

Au XVIIe siècle les artistes, et en particulier les graveurs, vont se complaire à multiplier les caricatures d'Espagnols : "Ils voulaient rabaisser l'Espagnol vantard et rodomont, ce grotesque de cape et d'épée, devait devenir une sorte de Polichinelle toujours rossé" (Champfleury, 1880). Bosse réalisera à des dates différentes plusieurs estampes sur ce thème, mettant en scène cet ennemi héréditaire dans des situations variées, de manière discrète parfois, comme dans L'Hôtel de Bourgogne, ou comme personnage principal d'une gravure, Le Capitaine Fracasse.
L'Espagnol et son laquais a été gravé par Abraham Bosse d'après un dessin de Pieter van Mol (Anvers 1599 - Paris 1650), puis Bosse a réalisé en pendant la seconde estampe, Le Français et son laquais. La composition est de son invention mais elle reprend le schéma de la première gravure. Obéissant à une logique, ces estampes ne peuvent se comprendre l'une sans l'autre, car le Français et l'Espagnol se répondent par le biais de vers qui forment un véritable dialogue. Bosse reprendra ce principe pour deux autres gravures sur ce même thème (images 102 et 103). Il nous offre ici deux portraits vus de trois quarts, ce qui lui permet par un cadrage serré de représenter avec une précision extrême chaque détail des costumes, veste brodée, gant brodé avec dentelle au poignet, chapeau à panache... Légèrement en retrait, les deux petits laquais suivent leur maître, le page du Français est très proche de ceux représentés si souvent par Claude Vignon, en particulier dans les années 1625-1630.
Quittant Anvers définitivement, Pieter van Mol s'installe à Paris à partir de 1631, ces estampes ne peuvent donc avoir été réalisées avant cette date. André Blum situe leur réalisation en 1640, mais il faut plus vraisemblablement proposer l'année 1635, date à laquelle la France entre dans la guerre de Trente Ans, déclarant une nouvelle fois la guerre à l'Espagne ; l'assurance de l'exécution et le raffinement dans la représentation des détails vestimentaires nous guident également vers ces années.
On retrouve sur L'Espagnol et son laquais un écho à ce que Gabriel Naudé a pu écrire sur ces caricatures : "Ces Espagnols en taille douce [...], avec chapeau en pot à beurre, épée dont la garde est aux pieds et la pointe aux épaules, des démarches superbes et autres actions ridicules ou insolentes". Décrivant cette gravure de Bosse, Valabrègue souligne que "rien ne manque au personnage [...] les moustaches en croc, les sourcils habilement arqués [...], l'énorme fraise, la golille, une veste courte bombée en cuirasse [...] la fatuité est jointe chez lui à la forfanterie [...] un petit "facchino" marche derrière lui".

Dans la marge inférieure, 3 colonnes de vers : Si la beauté, le bien dire, la grace / Les hauts exploits, le courage, la race, / Et les Vertus font vn homme accomply ; / Sans me vanter, mon bon heur est extreme, /Car de ces dons le Ciel m'ayant remply, / Je ne vois rien qui s'esgalle à moy-mesme. / MA seule voix iointe à ma bonne mine / A faict trembler l'Empereur de la Chine, / Le grand Mogor, et mesme le Dieu Mars ; / Mais en Amour j'ay des attraits si graues, / Que des beautez dignes de mes regars, / En vn instant j'en fais autant d'esclaues. / le Lacquais / Fiez vous a son langage, / Ou si vous n'en scauez rien, / Ceux qui le connoissent bien / Vous en diront davantage. Au-dessous, à gauche : Van Molle jnuen, au centre : ABosse fe, et à droite : le Blond excud. auec Priuilege.