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La mer est ce qui brouille les frontières,
efface les côtes, opère d’alchimiques métamorphoses
en quoi se mélangent les extrêmes et s’abolissent les différences.
Elle est ce "grand danger" où l’homme se perd et parfois se retrouve.
L’homme est fait de la même substance
que la vague :
Sous de certains souffles
violents du dedans de l’âme, la pensée est un liquide. Elle
entre en convulsions, elle se soulève, et il en sort quelque chose
de semblable au rugissement de la vague. Flux, reflux, secousses, tournoiements,
hésitations du flot devant l’écueil, grêles et pluies
[…], arrachements misérables d’une écume inutile, folles
ascensions tout de suite écroulées, immenses efforts, perdus,
apparition du naufrage de toutes parts, ombre et dispersion, tout cela
qui est dans l’abîme est dans l’homme.
L’Homme
qui rit
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Mais l’homme est aussi le navire : "Qu’est-ce
que ce navire impossible ?/ C’est l’homme"(La Légende des siècles)
et le poète est aussi le capitaine, celui qui peut s’adresser aux
"marins de la Manche" avec "l’autorité du naufragé" :
"Je vais vous dire ce que je suis. Je suis […] un matelot, je suis un
combattant du gouffre […]. J’ai autour de moi un perpétuel tremblement
d’horizon, j’assiste au va-et-vient de ce flot qu’on appelle le fait ;
en proie aux événements comme vous aux vents, je constate
leur démence apparente et leur logique profonde."
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Combattons, recommençons,
persévérons, avec cette pensée que la haute mer
se prolonge au-delà de la vie humaine, que, même hors de
la vie, l’immense navigation continue, et qu’un jour, nous constaterons
la ressemblance de l’océan où sont les vagues avec la
tombe où sont les âmes.
Discours
"Aux marins de la Manche"
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La
mer est l’irruption de l’ailleurs, de l’immense, elle nous regarde avec
les yeux de l’invisible, elle offre à la pensée un essor
sans limite, elle est le lieu brûlant d’un
rendez-vous avec l’infini.
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