Michael Kenna

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

1782
Promenade du côté de la Robaila
Sur le thème du paysage désiré et du paysage défiguré, Jean-Jacques Rousseau écrit, à la fin de sa vie, un texte significatif et prophétique :

« Je me rappellerai toute ma vie une herborisation que je fis un jour du côté de la Robaila, montagne du justicier Clerc. J’étais seul, je m’enfonçai dans les anfractuosités de la montagne, et, de bois en bois, de roche en roche, je parvins à un réduit si caché que je n’ai vu de ma vie un aspect plus sauvage. De noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux, dont plusieurs tombés de vieillesse et entrelacés les uns dans les autres fermaient ce réduit de barrières impénétrables. […] je me mis à rêver plus à mon aise en pensant que j’étais là dans un refuge ignoré de tout l’univers […]. Je me comparais à ces grands voyageurs qui découvrent une île déserte, et je me disais avec complaisance : sans doute suis-je le premier mortel qui ait pénétré jusqu’ici. […] Tandis que je me pavanais dans cette idée, j’entendis un peu loin de moi un certain cliquetis que je crus reconnaître ; j’écoute : le même bruit se répète et se multiplie. Surpris et curieux je me lève, je perce à travers un fourré de broussailles du côté d’où venait le bruit, et dans une combe à vingt pas du lieu où je croyais être parvenu le premier, j’aperçois une manufacture de bas. »

Les Rêveries du promeneur solitaire, « Septième promenade », éd. Michèle Crogiez, Paris, LGF, coll. « Classiques de poche », 2001, p. 146.