Michael Kenna

GUSTAVE FLAUBERT

L'univers mnémotechnique
« L’Histoire ancienne est obscure par le défaut de documents, ils abondent dans la moderne ; et Bouvard et Pécuchet revinrent à la France, entamèrent Sismondi.

La succession de tant d’hommes leur donnait envie de les connaître plus profondément, de s’y mêler. Ils voulaient parcourir les originaux, Grégoire de Tours, Monstrelet, Commines, tous ceux dont les noms étaient bizarres ou agréables.

Mais les événements s’embrouillèrent, faute de savoir les dates.

Heureusement qu’ils possédaient la mnémotechnie de Dumouchel, un in-12 cartonné, avec cette épigraphe : « Instruire en amusant ».

Elle combinait les trois systèmes d’Allevy, de Pâris et de Fenaigle.

Allevy transforme les chiffres en figures, le nombre 1 s’exprimant par une tour, 2 par un oiseau, 3 par un chameau, ainsi du reste. Pâris frappe l’imagination au moyen de rébus ; un fauteuil garni de clous à vis donnera : Clou, vis — Clovis ; et comme le bruit de la friture fait « ric, ric », des merlans dans une poêle rappelleront Chilpéric. Fenaigle divise l’univers en maisons, qui contiennent des chambres, ayant chacune quatre parois à neuf panneaux, chaque panneau portant un emblème. Donc, le premier roi de la première dynastie occupera dans la première chambre le premier panneau. Un phare sur un mont dira comment il s’appelait « Phar a mond », système Pâris, et d’après le conseil d’Allevy, en plaçant au-dessus un miroir qui signifie 4, un oiseau 2, et un cerceau 0, on obtiendra 420, date de l’avènement de ce prince.

Pour plus de clarté, ils prirent comme base mnémotechnique leur propre maison, leur domicile, attachant à chacune de ses parties un fait distinct, et la cour, le jardin, les environs, tout le pays, n’avaient plus d’autre sens que de faciliter la mémoire. Les bornages dans la campagne limitaient certaines époques, les pommiers étaient des arbres généalogiques, les buissons des batailles, le monde devenait symbole. Ils cherchaient sur les murs, des quantités de choses absentes, finissaient par les voir, mais ne savaient plus les dates qu’elles représentaient. »

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, in Œuvres, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », t. I, 1988
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