cabinet de lecture
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Le rêve d'Alexandrie

Alberto Manguel
Alexandrie, mémoire du monde
La bibliothèque d'Alexandrie était un lieu de savoir édifié par les Ptolémées à la fin du IIIsiècle avant notre ère dans le but de suivre au mieux les préceptes d'Aristote. Selon le géographe Strabon, qui écrivait au Ier siècle avant J.-C., la bibliothèque contenait peut-être les propres ouvrages du philosophe, légués à l'un de ses disciples, Théophraste, lequel, à son tour, les aurait légués à un autre, Nélée de Scepsis, qui devait participer à l'établissement de la bibliothèque.
Jusqu'à la fondation de la bibliothèque d'Alexandrie, les bibliothèques du monde antique étaient soit les collections privées des lectures d'un seul homme, soit des entrepôts d'État où l'on conservait en tant que références officielles des documents légaux et littéraires. L'instauration des unes et des autres était moins motivée par la curiosité que par un souci de sauvegarde, et répondait davantage à la nécessité de consultations particulières qu'au désir de tout embrasser. La bibliothèque d'Alexandrie faisait preuve d'une imagination nouvelle, dépassant en ambition et en portée toutes les bibliothèques existantes. Les rois attalides de Pergame, dans le Nord-Ouest de l'Asie Mineure, tentant de rivaliser avec Alexandrie, bâtirent leur propre bibliothèque, mais elle n'atteignit jamais la grandeur de celle d'Alexandrie. Afin d'empêcher leurs rivaux de créer des manuscrits pour leur compte, les Ptolémées interdirent l'exportation du papyrus, à quoi les bibliothécaires de Pergame réagirent en inventant un nouveau support pour l'écriture auquel on donna le nom de la ville : pergamenon, ou parchemin.

L'histoire d'un rêve colossal
Un curieux document du IIe siècle avant J.-C., la Lettre d'Aristée, peut-être apocryphe, rapporte à propos des origines de la bibliothèque d'Alexandrie une histoire emblématique de ce rêve colossal.
Dans le but de constituer une bibliothèque universelle (dit la lettre), le roi Ptolémée écrivit "à tous les souverains et gouvernants de la terre" pour les prier de lui envoyer les livres de toutes espèces par toutes espèces d'auteurs, "poètes et prosateurs, rhéteurs et sophistes, docteurs et devins, historiens, et aussi tous les autres".
Les savants au service du roi avaient calculé que cinq cent mille rouleaux seraient nécessaires si l'on voulait réunir à Alexandrie "tous les livres de tous les peuples du monde".
Alberto Manguel, La Bibliothèque la nuit, Actes Sud, 2006