cabinet de lecture
choses lues, choses vues

Les loueurs de livres

Roger Chartier
Location de l'imprimé
Les cabinets de lecture, qu'ils soient liés à une boutique de librairie ou à une société, littéraire ou non, demeurent le privilège d'une clientèle choisie, qui peut payer un abonnement assez coquet, mensuel ou annuel. Pour les plus démunis, il est d'autres formes de location de l'imprimé.
Dès le règne de Louis XIV, plusieurs libraires parisiens louent ainsi, sur place, devant la boutique, libelles et gazettes. Ce qui est donner forme nouvelle, au seuil de la librairie, à la pratique de ces "nouvellistes de bouche" représentés entre autres par Molière dans La Comtesse d'Escarbagnas (1671), où le vicomte explique ainsi son retard :
"J'ai été arrêté, en chemin, par un vieux importun de qualité qui m'a demandé tout exprès des nouvelles de la cour, pour trouver le moyen de m'en dire des plus extravagantes qu'on puisse débiter : et c'est là, comme vous savez, le fléau des petites villes, que ces grands nouvellistes qui cherchent partout où répandre les contes qu'ils ramassent.'"

Expansion
Un siècle plus tard, les "loueurs de livres" se sont multipliés dans la capitale. Ils tiennent de petits salons ou cabinets, mais surtout louent des livres empruntés et rapportés. Le tarif ici n'est pas au mois, mais à la journée, voire à l'heure. Ainsi, La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau fait partie de ces livres démembrés pour être loués à plus de lecteurs en même temps, opération qui est bien souvent le signe indiscutable du succès littéraire.
Les maigres collections des milieux populaires, telles que les révèlent les inventaires après décès, ne sont pas, tant s'en faut, le tout de la lecture des humbles. Pour trois sous la journée, le livre loué peut étendre, pour ceux qui n'ont pas de livre ou en ont peu, les horizons du rêve ou du plaisir.
Roger Chartier, Lectures et lecteurs dans la France d'Ancien Régime, Promodis, 1982