La censure se met en place
Sûrs de leur victoire, les services de propagande allemands avaient établi des listes de censure, dont une liste dite "Bernhard" comprenant 143 titres d'ouvrages antinazis ou "germanophobes", par exemple les Cloches de Bâle de Louis Aragon, Bruits de bottes à l'Est de Jean Bardanne,
Le Temps du mépris d'André Malraux,
Laisserons-nous démembrer la France ? de Raymond Cartier et Henry Kerillis,
Hitler m'a dit de Rauschning, des extraits commentés de
Mon combat d'Adolf Hitler publiés par le Savoir mutuel, etc.
Durant les journées des 27 au 31 août 1940, plus de 700 000 livres sont confisqués par les "Feldkommandantur" et les sections de la gendarmerie secrète ("Geheime Feldpolizei"), aidées par la police française, dans les librairies, les maisons d'édition et les bibliothèques de la zone Nord, puis entreposés dans un immense garage de l'avenue de la Grande Armée avant d'être pilonnés.
Des livres sont ainsi confisqués dans les bibliothèques d'Auxerre, Autun, Blois, Bourges, Chartres, Chaumont, Dinan, Honfleur, Joinville, Orléans... La "Propaganda Staffel" de Paris établit ensuite, avec l'aide des services de l'ambassadeur Otto Abetz et les indications du responsable du secteur librairie des messageries Hachette, Henri Filipacchi, et de plusieurs éditeurs, une liste plus complète de 1 060 titres intitulée liste "Otto" : "Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes."
Que contient la liste "Otto" ?
Publiée par la Bibliographie de la France, en octobre 1940, cette liste comprend en outre les écrits des opposants allemands émigrés comme Vicki Baum, Thomas et Heinrich Mann, E. M. Remarque, Stefan Zweig ; toutes les éditions de
Mein Kampf; des livres d'auteurs juifs ; des ouvrages hostiles au
Duce ; des ouvrages marxistes, mais aussi en raison du pacte germano-soviétique des ouvrages antistaliniens.
En juillet 1942, la seconde édition de cette liste, curieusement intitulée "Littérature française indésirable", est augmentée de traductions d'ouvrages anglais et polonais et de biographies consacrées à des juifs, et la troisième en mai 1943 est complétée d'une liste des "auteurs juifs de langue française".
Les bibliothèques des départements du Nord-Pas-de-Calais sont en outre contraintes d'appliquer la liste du Commandement militaire de Bruxelles, intitulée "Contre l'excitation à la haine et au désordre", répertoriant plus de 1 500 titres dont 1 200 en langue française : ouvrages de patriotes ou de nationalistes français, d'auteurs juifs et d'émigrés allemands.
Marie Kühlmann, "Les bibliothèques dans la tourmente"
dans Histoire des bibliothèques françaises. Les bibliothèques au XXe siècle, 1914-1990