Un écrivain engagé


En 1941, revenu des camps de prisonniers où il a découvert la solidarité, Sartre, abandonnant l'individualisme pacifiste d'avant-guerre, souhaite agir, donc s'engager. "Il comprit que, vivant non dans l'absolu mais dans le transitoire, il devait renoncer à être et décider de faire [.]. Une fois la paix retrouvée il ferait de la politique." (La Force des choses, t. I, p. 16.) Après l'échec de Socialisme et liberté, c'est dans le domaine idéologique qu'il s'aventure en premier lieu, choisissant d'exprimer dans la revue des Temps modernes sa conception de l'écrivain responsable. Entre février et juillet 1947, il publie Qu'est-ce que la littérature ?, réflexion stimulante sur la littérature et la politique, manifeste de la littérature engagée. "Osciller entre la prise de position idéologique et l'action. Mais si je préconise une position idéologique, aussitôt des gens me poussent à l'action : Qu'est-ce que la littérature ? me conduit au RDR." (La Force des choses, t. I, p. 207.) Dès l'année suivante, en effet, tout en continuant de rédiger les "Notes pour une morale", il entre au Rassemblement démocratique révolutionnaire, parti militant fondé, entre autres, par David Rousset et Georges Altman. Le RDR, plus un mouvement qu'un parti proprement dit (il autorisait la double appartenance), aspirait à un socialisme révolutionnaire et démocratique qui rejetait à la fois le stalinisme du Parti communiste français et le réformisme des sociaux-démocrates de la SFIO : il s'agissait de créer une "troisième force" à gauche, à la fois plus révolutionnaire que la SFIO et plus démocratique que le PCF.
   
  Le Tiers monde

À partir des années 1950, Sartre voyage à travers le monde, écoute et soutient les populations en Afrique, en Amérique Latine et en Asie. Que ce soit dans ses prises de position multiples pour les libertés ; dans ses contributions aux moindres petites revues radicales de Dakar, d'Ibadan, de Johannesburg ; dans ses riches préfaces à des textes fondateurs, dans l'accueil fait par ses Temps modernes aux dissidents rebelles à toutes les aliénations – Richard Wright, noir américain en rupture de classe et de race, Frantz Fanon, Antillais en rupture d'assimilation, mort en héros de l'indépendance algérienne, Patrice Lumumba, martyr du Congo libre dont il analysera la pensée révolutionnaire cachée sous l'action politique ; pour la paix au Proche-Orient où il ressent le conflit israélo-arabe comme un "drame personnel" ; ou dans ses prises de position en faveur du Vietnam napalmisé, puis des Vietnamiens fuyant leur état – "L'opinion politique de ces "boat people", disait-il, cela ne nous regarde pas ; cela regarde eux seuls, et le peuple vietnamien." – Sartre a toujours joué la sentinelle face aux embuscades tendues sur les chemins de la liberté. L'engagement est une tâche permanente qu'il assume avec tous les instruments traditionnels de la protestation : manifestes, appels, pétitions, déclarations publiques, manifestations de rue.
  
  La cause du peuple

Après les événements de mai 1968, Sartre entame une nouvelle période d'action aux cotés des militants de la Gauche prolétarienne. Il accepte la direction du journal révolutionnaire La Cause du peuple, s'adresse aux ouvriers devant les usines Renault à Boulogne-Billancourt. Mais l'enlèvement et la séquestration pendant quarante-huit heures d'un agent de la Régie Renault par le groupe maoïste clandestin la Nouvelle résistance populaire en mars 1972 lui fera prendre ses distances avec l'ouvriérisme sommaire et la violence des maos. Pour autant, il n'abandonne pas l'idée d'une presse populaire qui donnerait la parole à tous les exploités et développerait un authentique journalisme de terrain. Sartre s'active au lancement du journal Libération dont il est le premier directeur. Le quotidien paraît pour la première fois le 22 mai 1973 : c'est l'aboutissement d'un des derniers grands combats de Sartre.
Ses dernières années sont marquées par une cécité croissante et par la maladie ; il ne peut plus s'exprimer que par interviews. Sa mort, causée par un odème pulmonaire, survient le 15 avril 1980 ; son convoi funèbre est suivi dans Paris par quelque cinquante mille personnes.