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Lutopie comme système fascine et
effraie : la recherche de légalité passe souvent par une liberté sacrifiée
sur lautel de la transparence, de la communauté, et dune coûteuse entente
qui impose un bonheur à lindividu au nom du bien commun.
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De là nous entrâmes dans lécole de
mathématiques, dont le maître se servait pour instruire ses disciples dune
méthode que les Européens auront de la peine à simaginer : chaque
démonstration était écrite sur du pain à chanter, avec une certaine encre de teinture
céphalique. Lécolier à jeun avalait ce pain à chanter, et pendant trois jours,
il ne prenait quun peu de pain et d'eau. Pendant la digestion du pain à chanter, la
teinture céphalique montait au cerveau et y portait la proposition . Cependant, cette
méthode navait pas eu beaucoup de succès jusque-là ; mais cétait,
disait-on, parce que lon sétait trompé quelque peu dans le quantum satis,
cest-à-dire dans les doses de la composition, ; ou parce que les écoliers,
malins et indociles, au lieu davaler le bolus, qui leur semblait nauséabond,
le jetaient de côté ; ou, sils le prenaient, ils le rendaient avant
quil eût pu faire son effet ; ou bien enfin parce quils ne pouvaient
sastreindre à labstinence prescrite. Jonathan SWIFT, Les Voyages de Gulliver, 1726, deuxième ouvrage. |
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Je descendis et assistai à un délire
général. Les soleils de cristal taillé éclairaient un quai bourré de têtes devant un
train vide et engourdi. Je ne la voyais pas, mais je la reconnus à sa voix souple et flexible comme une cravache. Ses sourcils relevés vers les tempes devaient être quelque part – Laissez-moi passer. Il me faut Des pinces me saisirent aux bras et aux épaules, je fus immobilisé : – Non, remontez. On vous guérira, on vous remplira de bonheur jusquaux bords. Quand vous serez rassasié vous rêvasserez tranquillement, en mesure, et vous ronflerez. Vous nentendez pas ce grand ronflement symphonique ? Vous êtes difficile : on veut vous débarrasser de ces points dinterrogation qui se tordent en vous comme des vers et vous torturent ! Courez subir la Grande Opération ! – Quest-ce que cela peut vous faire si je ne consens pas à ce que dautres veulent à ma place, si je veux vouloir moi-même, si je veux limpossible Une voix lourde et lente lui répondit : – Ah, ah ! Limpossible ! Cest à dire rêver à des chimères idiotes pour quelles sagitent devant votre nez comme un appât. Non, nous coupons cet appât et – Et vous le mangez, et vous en aurez besoin dun autre. Il paraît que les anciens avaient un animal appelé "âne". Pour le faire avancer, on lui attachait une carotte devant le nez de façon quil ne pût lattraper. Sil lattrapait, il la mangeait. |
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Lavenir totalitaire |
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Sils obtenaient la domination de toute
lAfrique, sils possédaient des champs daviation et des bases
sous-marines au Cap, ils couperaient lOcéania en deux. Cela pouvait tout
signifier : la défaite, lécrasement, le nouveau partage du monde, la
destruction du Parti ! Il respira profondément. Une étrange mixture de sentiments
mais ce nétait pas à proprement parler une mixture, cétaient plutôt
des couches successives de sentiments, dont on ne pouvait dire laquelle était plus
profonde –, une étrange mixture de sentiments luttait en lui. Laccès disparut. Il remit à sa place le cavalier blanc mais
ne put, pour le moment, entreprendre une étude sérieuse du problème déchecs. Ses
pensées ségaraient de nouveau. Presque inconsciemment, il traça du doigt dans la
poussière de la table : Mais ils pouvaient entrer en vous. "Ce qui vous arrive ici vous marquera à jamais", avait dit OBrien. Cétait le mot vrai. Il y avait des choses, vos propres actes, dont on ne pouvait guérir. Quelque chose était tué en vous, brûlé, cautérisé. Il avait vu Julia, il lui avait parlé. Il ny avait aucun danger à le faire. Il savait, presque instinctivement, que le Parti ne sintéressait plus maintenant à ses actes. Il aurait pu sarranger pour la rencontrer une seconde fois si elle ou lui lavait désiré. Cétait réellement par hasard quils sétaient rencontrés. |
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Une âme blanche comme neige |
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Les pieds de Winston, sous la table
sagitaient convulsivement. Il navait pas bougé son siège, mais en esprit, il
courait, il courait de toutes ses forces. Il était avec la foule au-dehors et
sassourdissait lui-même de hourras. Il regarda encore le portrait de Big Brother,
le colosse qui chevauchait le monde ! Le roc contre lequel les hordes asiatiques
sécrasaient elles-mêmes en vain ! Il pensa que dix minutes auparavant
oui, dix minutes seulement il y avait encore de léquivoque dans son
cur alors quil se demandait si les nouvelles du front annonceraient la
victoire ou la défaite. Ah ! Cétait plus quune armée eurasienne qui
avait péri. Depuis le premier jour passé au ministère de lAmour, il avait
beaucoup changé, mais le changement final, indispensable, qui le guérirait, ne
sétait jamais jusqualors produit. La voix du télécran déversait encore son histoire de prisonniers, de butin et de carnage, mais le vacarme extérieur sétait un peu apaisé. Les garçons revenaient à leur service. Lun deux sapprocha de Winston avec la bouteille de gin. Winston, plongé dans un rêve heureux, ne faisait aucunement attention à son verre que lon remplissait. Il ne courait ni napplaudissait plus. Il était de retour au ministère de lAmour. Tout était pardonné et son âme était blanche comme neige. Il se voyait au banc des prévenus. Il confessait tout, il accusait tout le monde. Il longeait le couloir carrelé de blanc, avec limpression de marcher au soleil, un garde armé derrière lui. La balle longtemps attendue lui entrait dans la nuque. Il regarda lénorme farce. Il lui avait fallu quarante ans pour savoir quelle sorte de sourire se cachait sous la moustache noire. O cruelle, inutile incompréhension ! Obstiné ! volontairement exilé de la poitrine aimante ! Deux larmes empestées de gin lui coulèrent de chaque côté du nez. Mais il allait bien, tout allait bien. LA LUTTE ETAIT TERMINEE. IL AVAIT REMPORTE LA VICTOIRE SUR LUI-MEME. IL AIMAIT BIG BROTHER. |
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Celui qui commence à se familiariser avec la vie W, un novice par exemple qui, venant des Maisons de Jeunes, arrive vers quatorze ans dans un des quatre villages, comprendra assez vite que lune des caractéristiques, et peut-être la principale, du monde qui est désormais le sien est que la rigueur des institutions ny a dégale que lampleur des transgressions dont elles sont lobjet. Cette découverte, qui constituera pour le néophyte un des éléments déterminants de sa sauvegarde personnelle, se vérifiera constamment, à tous les niveaux, à tous les instants. La Loi est implacable, mais la Loi est imprévisible. Nul nest censé lignorer, mais nul ne peut la connaître. Entre ceux qui la subissent et ceux qui lédictent se dresse une barrière infranchissable. LAthlète doit savoir que rien nest sûr ; il doit sattendre à tout, au meilleur et au pire ; les décisions qui le concernent, quelles soient futiles ou vitales, sont prises en dehors de lui ; il na aucun contrôle sur elles. Il peut croire que, sportif, sa fonction est de gagner, car cest la Victoire que lon fête et cest la défaite que lon punit ; mais il peut arriver dernier et être proclamé Vainqueur : ce jour-là, à loccasion de cette course-là, quelquun, quelque part, aura décidé que lon courrait à qui perd gagne. | ||||||