L'atelier de l'artiste
"La lutte contre l'ange"

 

"Je veux peindre la lutte de l'artiste contre la nature, l'effort de la création dans l'œuvre d'art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie : toujours en bataille avec le vrai, et toujours vaincu, la lutte contre l'ange. En un mot, j'y raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux ; mais je grandirai le sujet par le drame, par Claude qui ne se contente jamais, qui s'exaspère de ne pouvoir accoucher de son génie et qui se tue à la fin devant son œuvre irréalisée."

Émile Zola, L'Œuvre, dossier préparatoire
 
  Au Salon d'art annuel de 1866, alors que de nombreux artistes ont encore été refoulés par le jury, une voix s'élève contre l'académisme en art, les conventions usées, les normes officielles devenues stériles… C'est celle de Zola, jeune journaliste encore inconnu qui, à travers une série d'articles éloquents fustigeant "les douceurs des confiseurs artistiques à la mode" et "les tableaux unis comme une glace, dans lesquels les dames peuvent se coiffer", entame son grand combat pour la modernité.
En prenant la défense des jeunes peintres que Cézanne lui a fait connaître, entre autres Renoir, Pissarro, Monet, Degas et surtout Manet, il entend défendre une vision de la nature "telle qu'elle est" et faire sortir l'art de l'obscurité des ateliers pour ouvrir "une fenêtre sur le monde". Et s'il fait siennes les positions de cette nouvelle école de peinture (d'où naîtra en 1874 le mouvement impressionniste), c'est pour engager dans un même mouvement l'art et la littérature sur la voie du naturalisme. Mais peu à peu, préférant un naturalisme pictural plutôt expressionniste comme celui de Gervex ou de Bastien-Lepage, il se détachera des concepts esthétiques de ses anciens amis…
Car ce qui passionne vraiment Zola, ce n'est pas de montrer ce qui "est" mais plutôt ce qui "est en train d'être", la "germination" de l'être confronté à la nature, le processus de création lui-même, la "lutte de l'artiste contre la nature". Du couple Sourdis ("Madame Sourdis") à Claude Lantier (L'Œuvre), en passant par Laurent, l'amant criminel de Thérèse Raquin, ce sont les liens arachnéens qui unissent l'acte créateur à la folie, la mort, la souffrance, le désir et l'impuissance qui fascinent l'auteur des Rougon-Macquart.
Claude Lantier, image jumelle et démultipliée de l'artiste, incarne un des doubles de l'auteur. Un double maudit, en proie aux doutes, à la hantise de l'inachèvement et de l'émiettement, à l'"abominable torture" de l'"enfantement", aux angoisses de mort et de disparition enfin, qu'il conjure en bâtissant un monument de livres.

Les documents :
Frédéric Bazille, L'Atelier de Bazille rue de La Condamine
Edgar Degas, Manet assis
Camille Pissaro, Portrait de Cézanne
Édouard Manet, Les Courses