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"Je sens la chair fraîche. En disant ces mots il se leva de table et alla droit au lit. […] Voilà du gibier qui me vient bien à propos pour traiter trois ogres de mes amis qui doivent me venir voir ces jours-ci." Charles Perrault, Le Petit Poucet. Figure terrifiante, destinée à faire peur, l’ogre qui se repaît de
la chair fraîche des petits enfants est un personnage clé des contes de
fées. Son origine étymologique contestée prête à bien des suspicions
et interrogations : lié pour certains à Orcus, Dieu des
Enfers dans la mythologie étrusque il symbolise le gouffre, le dieu de la
mort engloutissant le soleil. |
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L’ogre,
le complément inversé des fées Souvent représenté sous la forme d’un géant, il voit mal, mais possède un flair solide : on peut bien sûr penser aux cyclopes combattus par Ulysse, eux aussi grands amateurs de chair fraîche. De même, parmi les Titans le plus jeune fils d’Ouranos, Cronos, dévorait ses enfants à leur naissance pour éviter d’être détrôné par l’un d’eux comme cela lui avait été prédit. Le tableau de Goya, Saturne dévorant ses enfants, s’impose à l’esprit. Seul le nouveau-né Zeus échappe à la voracité de son père grâce à sa mère Rhéa qui le remplace par une pierre qu’elle donne à manger à son époux. "Où sont les petits enfants que je les croque à belles dents ? Il m’en faut tant et tant et tant que le monde n’est suffisant", chante Galifron dans La Belle aux cheveux d’or de Mme d’Aulnoy. Cette "faim de loup" n’est pas sans rappeler une autre racine du terme, reprise par Rabelais dans Gargantua : "gurga" aurait donné "Gar" qui, en ancien français, signifie la gorge d’où le caractère particulièrement vorace du personnage. |
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L’ogre tyran ou
"le père dévorant"
(Georges Jean) De Cronos qui se délectait de ses propres enfants à l’ogre du Petit Poucet qui égorge ses propres filles, la figure du père dévorant est bien présente dans le mythe comme dans le conte. A la fois image de l’Autre absolu et figure terrifiante du Moi sauvage et barbare, l’image de l’ogre hante les esprits et illustre les rapports ambivalents des parents et des enfants, entre désirs refoulés, peur et transgression des interdits. De l’amour possessif extrême ("dévorer de baisers") au désordre alimentaire, il n’y a qu’un pas, vite franchi par les auteurs et les conteurs. Ainsi le soleil et la lune dans les Sept Corbeaux se font ogre et ogresse, figures masculine et féminine du couple parental : "Alors elle arriva au soleil mais il était chaud et terrible et mangeait les petits enfants", la lune est son contraire ("elle était bien trop froide") mais elle est cruelle et méchante et sent "la chair humaine". |
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Malgré
un odorat très développé, un ogre facilement abusé "Ça sent la chair fraîche", "je sens la chair humaine", est un leitmotiv étroitement associé au personnage de l’ogre. L’ogre du Petit Poucet repère les enfants dès son arrivée grâce à son odorat, odorat qui tient du flair et le rapproche de l’animal dont il a développé le comportement bestial. Cet odorat exceptionnel lui permet de compenser la faiblesse de sa vue : ainsi la sorcière-ogresse d’Hänsel et Gretel croyant tâter le bras du petit garçon qu’elle cherche à engraisser ne saisit en réalité qu’une patte de poulet décharnée. Car malgré sa force et son apparence physique impressionnante, l’ogre est vulnérable. Facilement vaincu grâce à l’intelligence du héros, il est souvent volé et berné par plus petit que lui : par trois fois le petit Jack parvient à s’introduire chez l’ogre du haricot géant pour lui dérober d’abord un sac d’or, puis une poule aux œufs d’or et enfin une harpe d’or par laquelle il peut accéder au monde supérieur des arts. |
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Le
nain, une maturité non accomplie ? Figure ambivalente, toujours masculine, le nain s’oppose à l’ogre, par la taille bien sûr, mais aussi par son rôle auprès du héros : à la différence de l’ogre qui est toujours un personnage à combattre, le nain peut être sympathique et aider le héros à surmonter les épreuves. C’est le cas des sept nains de la forêt qui recueillent la jeune Blanche-Neige. Mais ils se révèlent très vite incapable de la protéger contre les pouvoirs maléfiques de la méchante reine. En réalité c’est d’elle-même que Blanche-Neige doit être protégée car elle va céder par trois fois à la tentation (du fait de sa coquetterie et de sa gourmandise). Associés aux profondeurs de la terre, les nains en extraient les métaux ou les pierres précieuses. Ils peuvent aussi revêtir un aspect maléfique, comme s’ils n’étaient finalement que la face repoussante de notre personnalité, un moi en gestation dont la maturité ne serait pas encore aboutie, d’où leur mauvais caractère (Blanche-comme-Neige et Rose-Bonbon, Grimm). |
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"Il avait des sabots, une jaquette de bure jaune, point de cheveu, de grandes oreilles et tout l’air d’un petit scélérat". Cette description quelque peu démoniaque du Nain Jaune de Mme d’Aulnoy pourrait très bien s’appliquer au Diable aux trois cheveux d’or qui "sent la chair humaine" (Grimm). |