La féerie sur scène : 
les variantes formelles du conte de fées

La Féerie est un spectacle essentiellement visuel, mêlant la musique, le chant et la danse, la pantomime et l’acrobatie. Elle doit principalement sa réussite à l’imagination d’un librettiste, au chorégraphe déployant des figurants, aux extravagances du décorateur et du costumier, à l’habileté des machinistes et des accessoiristes constamment sur la brèche durant la représentation. A ces derniers revient ce qui fait toute la magie du spectacle : les changements à vue où la forêt se transforme en océan, la grenouille en prince charmant, la citrouille en carrosse et de grassouillettes danseuses en fées "aérogynes". Chaque tableau —  il y en aura jusqu’à trente dans certaines féeries — doit en mettre "plein la vue" du spectateur. Chaque tableau se doit d’être une apothéose.
   

Ballet de cour et théâtre de foire
Genre dramatique composite, la féerie trouve ses origines dans le ballet de cour, les pièces à machines et le théâtre de foire, formes de spectacle qui doivent beaucoup aux artistes italiens. Introduit en France par Catherine de Médicis, le ballet devient au XVIIe siècle un élément important de la vie de cour. Allégorique et mythologique, il fait aussi la part belle au fantastique, tel ce Ballet des fées de la Forêt de Saint-Germain présenté en 1625.
   

   

A la même époque, s’imposent les pièces à machines, héritage des découvertes de nombreux ingénieurs, architectes et peintres italiens dont le plus fameux est Nicola Sabbattini. Au répertoire, s’inscrivent Andromède et La Toison d’or de Pierre Corneille, Psyché, de Molière, Corneille, Quinault et Lully. Dieux, déesses, fées, diables, sorcières, mages et devins n’enchantent pas que le roi et la noblesse. Ils font les beaux jours des tréteaux de la foire autour desquels œuvrent charlatans et escamoteurs. A la pompe et au "sérieux" féeriques de la Cour se substituent la fantaisie et le comique des comédiens italiens. Ce sont les bateleurs qui fourniront certains ingrédients au genre féerique tel que le connaît le XIXe siècle : arlequins, acrobates, danseurs de corde, dresseurs d’animaux savants.
   

   

Un genre virant au vaudeville
Au lendemain de la Révolution, un nouveau public est né, issu de la bourgeoisie. Pour lui se créent des théâtres et un répertoire, dont les deux pôles sont le mélodrame et la féerie. Au mélo qui fait pleurer — le grand maître en est Guilbert de Pixérécourt — répond la féerie qui fait rire. Du mélodrame, elle adopte le manichéisme — lutte du bien contre le mal et triomphe final du bien — ainsi que les personnages principaux : les fiancés, le méchant rival et le valet comique. Attrape-tout, au milieu du XIXe siècle la féerie vire au vaudeville. Les deux genres dramatiques font leur nid au théâtre de la Gaîté. Le 6 décembre 1806, est créé Le Pied de mouton, de Martainville, pièce dont la structure sera celle de toutes les féeries qui suivront, à savoir une succession de tableaux où les héros vivent mille aventures au sein de décors truqués se transformant à vue.
Au terme de féerie, pourrait se substituer avantageusement celui de diablerie. Remis au goût du jour par les écrivains et les peintres de l’époque romantique, Satan occupe une large place à l’opéra, au théâtre, dans la pantomime et jusqu’aux spectacles de lanterne magique, qui popularisent les diableries licencieuses d’Eugène Le Poittevin. Ce goût se perpétuera tout au long du XIXe siècle : au milieu du siècle, Jules Michelet réhabilite les sorcières, le public se passionne pour les phénomènes paranormaux.
  

   

Un répertoire visant au spectaculaire
Si le spectacle de féerie intègre légitimement les contes de fées dans son répertoire, il n’est pas sûr que Charles Perrault y retrouve ses petits Poucet. Visant uniquement au spectaculaire, les auteurs utilisent les contes comme un canevas que l’on accommode au goût du jour. Le plus souvent dénués de la poésie et de la simplicité qui font le charme des contes, les livrets, comiques sous les frères Cogniard, Hippolythe et Théodore, deviennent vaudevillesques sous la plume de leur successeur Clairville, qui truffe ses textes de calembours. Les contes se parent de rois Croquignolet, d’Hurluberlu et autre Turlututu chapeau pointu, enrichissant le langage commun de plusieurs générations de grands et petits enfants. La dichotomie existant entre la beauté visuelle des spectacles et la pauvreté du texte incitera plus d’un critique à réclamer que la féerie se taise. Théodore de Banville, auteur d’un Riquet à la houppe, tentera vainement de réhabiliter le genre. A la fin du XIXe siècle, grâce aux perfectionnements de la machinerie et surtout à l’utilisation de l’électricité, les spectacles de féerie, dont l’un des temples est le théâtre du Châtelet, sont devenus de véritables superproductions déployant des centaines de figurants. Mais le public, lassé, déserte. Un redoutable concurrent se fait jour, dont les possibilités de trucages sont infinies : le cinématographe. C’est pour lui que diables et fées quittent les planches. Pas tout à fait cependant : ils survivent sur la scène de l’opéra et dans le ballet.
  

Ballets et opéras
Dès le milieu du XVIIIe siècle, la féerie prisée à Versailles gagne le ballet et l’opéra qui se prêtent particulièrement bien au merveilleux et à l’artifice. Louis Anseaume (1721-1784) parodie Cendrillon dans un opéra-comique donné le 20 février 1759 au théâtre de la Foire St-Germain initiant ainsi une longue tradition de variations formelles pour l’opéra que poursuivent Boïldieu avec Le Petit Chaperon rouge ou Massenet avec une nouvelle Cendrillon.
Les ballets s’emparent également du genre, donnant lieu des compositions célèbres comme La Belle au Bois dormant par Stravinski, Cendrillon par Prokofiev ou Ma mère l’Oye par Ravel.

  

   
A partir du XXe siècle, la féerie théâtrale se voit dépouillée de tous ses "trucs" au profit du cinéma. Elle se réveillera toutefois suivant les époques comme le montrent aujourd’hui le succès rencontré par le théâtre de rue, le renouveau des arts circassiens ou les machines à rêver du Royal de Luxe.