Que peut-on montrer de l'histoire ?
Le concept mis en œuvre par Carl De Keyzer offre une vision,
dans le temps même de l’actualité, des mécanismes
et des interactions du pouvoir et de l’histoire, une occasion
d’interroger la représentation iconographique. Carl
De Keyzer nous pose ainsi, en photographe, les questions que partagent
depuis plus d’un demi-siècle les historiens.
La représentation photographique peut-elle construire l’Histoire
immédiate ? En quoi une image peut-elle constituer un document convaincant ?
Quelle est sa valeur de vérité ? Dans quel agencement trouve-t-elle
alors une signification ? En somme, un récit est-il encore possible
après la fin d’une narration totalisante à la manière
de Michelet ?
Nous percevons, grâce à cette trilogie, que les grands événements
ne le deviennent que par un choix délibéré et arbitraire
au sein d’un flux temporel, que nous ignorons aussi bien les visages des
véritables décideurs que les raisons profondes de leurs décisions.
Nous découvrons que les guerres ne sont guère représentables
que par leurs effets, leurs vestiges, leurs traces. Le temps devient une surface
indifférenciée où l’Histoire bâtit un « objet
biscornu » - dirait Paul Veyne - toujours substituable à un
autre, aucun n’étant légitime absolument ni éternellement.
La vision de Carl De Keyzer ne tombe pas pour autant dans le relativisme absolu
que constitueraient le doute systématique et l’impossibilité de
l’acceptation du témoignage visuel.
L’originalité de sa réponse réside en
ce décalage systématique qu’il opère,
entre l’importance attribuée à l’événement
par ceux qui en sont les agents ou les figurants et la représentation
qui peut en résulter. Il désamorce, en la rendant évidente,
la dimension spectaculaire qui dissimule la réalité des
stratégies politiques ou économiques sous jacentes.
Sous l’objectif du photographe, par son choix totalement arbitraire
de représentation, par son passage dans le domaine de l’esthétique,
l’événement d’actualité devient
une forme inédite de
Ready Made.
Carl De Keyzer construit lucidement son œuvre en opposition
au flux continuel d’images déversées quotidiennement
par les chaînes d’information télévisées
et le Web. Ce qu’il propose est une pause, un suspens du jugement.
Un contre regard nourri d’une ironie mordante à l’égard
des pseudo-événements de l’actualité.
Mais il s’agit aussi d’un regard juste, empathique et
dépourvu de voyeurisme sur les misères de la guerre.
Tel est le paradoxe qui fonde et justifie cette construction ternaire.
L’ironie s’efface alors derrière le simple constat
de ce qui est visible et de ce qui, par ailleurs, est impossible à montrer.
Les scènes de bataille sont absentes, mais les stigmates des
combats se dévoilent dans le paysage. Impacts de balles, personnages
cloués à leurs fauteuils roulants, villages brûlés
dévorés par la repousse de la végétation,
camps de réfugiés qui tentent de survivre, tels sont
les signes qu’il nous appartient de déchiffrer.
La sélection de 74 photographies en couleur de grand format présentées
dans cette exposition nous mène sur les théâtres des conflits
qui se déroulaient ou se déroulent encore sporadiquement aux marches
des grandes puissances (Angola, Burundi, Côte d’Ivoire, Indonésie,
Afghanistan…) et dans les capitales abritant les grands parlements (Washington,
Bruxelles, Pékin…). Si un chapitre est consacré à quelques
prétendus « événements » surmédiatisés
de la vie politique, le photographe tourne alors délibérément
son objectif vers des spectateurs quelque peu déroutants, qui sans y rien
comprendre « reflètent l’effet de cet effort de persuasion. »
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Parcours de l'exposition