Héros de western
  





Chevauchant les grands espaces mythiques de l’Ouest américain, le personnage de western dessiné arbore la virilité des héros de cinéma, incarnés par des stars tels que Burt Lancaster, John Wayne ou Gary Cooper. Fier, courageux et indépendant, il ressemble trait pour trait à son double du septième art. Dès 1895, le cinéma tout juste né s’empare de l’Ouest en inventant le western, qui alimentera l’imaginaire collectif des générations durant. Les premiers comics lui emboîtent le pas et le genre, qu’il soit dessiné ou filmé, connaît un immense succès dans les années trente. C’est à cette époque que l’Europe commence à illustrer l’épopée du Far West, avec notamment Tintin en Amérique. Jusque dans les années soixante, la bande dessinée s’inspire totalement du cinéma américain, dont elle reprend thèmes et leitmotive. Cependant, alors que le mythe s’effrite outre-Atlantique et que l’Italie prend le relais avec le " western spaghetti ", le héros s’émancipe et trouve au sein de l’école franco-belge un terrain de prédilection. Les années qui voient naître Blueberry, Mac Coy et Buddy Longway sont celles de la contestation et de la guerre du Viêtnam. Dorénavant, le héros se débat dans un Far West sauvage et corrompu, peuplé d’arrivistes et de bandits en tous genres. Ses ennemis ne sont plus les bêtes sauvages, le désert ou les Indiens mais les hommes de l’Ouest eux-mêmes. Le héros subit alors une crise d’identité profonde : quel est son clan ? Qui sont les bons et les méchants ?

En version humoristique, on ne saurait oublier l’incontournable Lucky Luke, qui apporte, dès 1948, une touche de dérision à un genre qui manque parfois de légèreté et d’originalité. Le " poor lonesome cowboy " n’aura guère de concurrence jusqu’à l’apparition en 1968 des " Tuniques bleues ", qui cumulent gags et bévues dans le décor de la guerre de Sécession. Grand, fort, courageux, il n’a peur de rien, ni des bandits, ni des Indiens - dont il se fait en général des amis -, ni des bêtes sauvages, ni de l’armée, ni des catastrophes naturelles, ni des … fantômes. La solitude souvent forcée qui est la sienne fait invariablement partie de son caractère, même s’il est entouré de comparses à la Walter Matthau ou de femmes.

La cause indienne

Le héros prend toujours fait et cause pour les Indiens, ce qui lui donne du fil à retordre. En porte-à-faux avec ses semblables, c’est dans la culture indienne, dont il partage les valeurs, qu’il se reconnaît le plus volontiers. Les Blancs sont souvent pleutres, veules, avides et racistes. L’Indien incarne le double idéalisé du héros, digne et fier, luttant vainement pour des valeurs dépassées. Le héros est toujours pris entre deux feux, entre deux peuples, le sien qui le déçoit, et l’autre qui le rejette. Les histoires d’amour avec des Indiennes sont nombreuses (Blueberry et Chini, Jonathan Cartland, Buddy Longway… ) et l’hommage au " peuple rouge " de plus en plus marqué.

Le réalisme

Le western est en général " réaliste " (même le Far West de Lucky Luke s’appuie sur une documentation très précise, voire une des plus détaillées du genre). Certains albums présentent des parties " documentaires ", photos à l’appui, pour mieux encore ancrer la fiction dans une réalité historique (par exemple, le préambule de Ballade pour un cercueil ). De plus, fait rare dans la BD , certains héros (notamment Blueberry et Buddy Longway) vieillissent d’un épisode à l’autre. La question se pose alors d’emblée au lecteur : ces héros ont-ils vraiment existé ?
 

D’Hollywood à Bruxelles : le western à la conquête de l’Europe
  

1934 : Jim Boum, frère de sang de Sitting Bull surnommé le " scout des frontières ", incarne le solitaire amoureux de la nature (Marijac).
1947 : Lucky Luke, encore muni de son inséparable mégot, parcourt l’Ouest mythique sur sa célèbre monture (Morris et Goscinny).
1949 : un gamin de l’Oklahoma, Sam Billie Bill, grandit dans l’univers farouche des chercheurs d’or (L. Nortier et J. Ollivier).
1953 : les héros sont des animaux dans le western humoristique Chick Bill (Tibet).
1954 : Jerry Spring chevauche pour le bon droit avec son compère Pancho (Jijé).
1963 : le lieutenant Blueberry quitte définitivement l’Est et poursuit son destin à Fort Navajo (Giraud et Charlier). 
1969 : la " cowgirl " Comanche dirige d’une main de fer le ranch " Triple 6 ", aidée de son fidèle Red Dust (Hermann et Greg).
1970 : Les Tuniques bleues sèment la pagaille dans les troupes nordistes (Salvérius et Cauvin). 
1972 : début de la grande saga de Buddy Longway, grand hymne à la nature et à " l’homme rouge " (Derib).
1974 : un autre rescapé de l’armée des confédérés, Alexis Mac Coy, est réintégré après la guerre dans la cavalerie à Fort Apache (Jean-Pierre Gourmelen et Antonio Palacios).
1974 : Jonathan Cartland, dit Jon, trappeur du Nord, a la douleur de perdre sa femme (une squaw sioux) massacrée par des bandits. Commence alors une longue vie d’errance… (Michel Blanc-Dumont et Laurence Harlé).
1976 : Al Crane, un héros " raté " et persifleur, pourfend tous les poncifs du western traditionnel (Alexis et Lauzier).
1978 : Red Road tord le cou à l’imagerie populaire et rend un splendide hommage au peuple indien (Derib).
1999 : Black Hills  présente Lewis Kayne, un cowboy désabusé dont la femme indienne et le bébé ont été tués par des inconnus. Accompagné d’un reporter, il tentera de renouer avec le peuple indien (Yves Swolfs et Marc Rénier).