Le théâtre de la mode
par Noëlle Guibert
Élément essentiel de la vie quotidienne,
le costume est loin de s’y réduire, car il signifie dès
lors qu’il habille et non plus seulement protège l’être
humain. La mode vestimentaire a eu, a encore, des effets profonds, culturels,
politiques parfois, économiques souvent, sur les mœurs,
le sens des civilisations, à moins qu’elle n’en soit
l’expression. Elle s’adapte au climat, à la notion
de décence, elle identifie des fonctions : militaires, juridiques,
religieuses.
La mode a évidemment servi la cause du spectacle, qu’elle
accompagne depuis que le jeu et le simulacre se sont imposés
aux commencements de l’homme conscient. Le costume, l’accessoire,
font sens dès que l’on veut se faire reconnaître,
être identifié. Les inventeurs du théâtre
l’ont compris dès l’époque préclassique,
avec le masque nécessaire comme porte-voix, mais qui devient
significatif du personnage qu’il désigne.
Le costume s’impose comme le partenaire le plus
précieux de l’acteur. Il fixe le personnage dans la comédie
classique, comme dans la tragédie de notre théâtre
français. Il impose dans les pays de fortes traditions populaires
les personnages de la commedia dell’arte, et ceux du
Siècle d’or espagnol qui puisent dans leurs provinces d’origine
les vêtements auxquels le "caractère" est associé
: Arlequin, Crispin, Matamore en sont issus. Rappelons qu’empruntés
à l’italien, les mots "costume" et "coutume"
ont la même origine, et que l’expression courante au XVIIIe siècle pour les acteurs, "établir le costume",
signifie bien davantage : définir le rôle, cerner le personnage,
que choisir le costume de scène.
Le théâtre français a été submergé
par les modes d’un pittoresque d’outre-monts apporté
dans les malles des reines françaises, venues d’Italie
ou d’Espagne, par des influences subies ou encore par la culture
propre de nos dramaturges, dans le genre comique, mais aussi dans la
tragi-comédie. La vogue de l’exotisme accompagne ainsi
les émissaires de la Grande Porte auprès de Louis XIV.
Ils suscitent la comédie-ballet du Bourgeois gentilhomme
de Molière, avec un modèle de parvenu qui fait grand cas
de la psychologie du vêtement, lequel atteint des sommets dans
le divertissement de la turquerie. Au siècle suivant, la Compagnie
des Indes faisant entre autres le commerce des tissus, assurera la mode
des "indiennes" dans les habits de comédie.
Le costume est un compère incomparable des auteurs
dramatiques et la mode les a, très tôt, inspirés.
Corneille prend à témoin le vêtement pour décrire
le caractère de son Menteur, et confère au décor
de la Place royale et de ses boutiques de dentelles une place essentielle.
Molière donne un rôle considérable au vêtement
dans son œuvre dramatique, et avec éclat dans Le Bourgeois
gentilhomme ou Le Malade imaginaire. Lesage introduit
le personnage d’une marchande à la toilette, dans Turcaret,
une Madame Jacob, ambiguë et plutôt entremetteuse, bien éloignée
de Rose Bertin, marchande favorite de la reine Marie-Antoinette et préfiguration
de la grande couturière. La Giacinta de La Manie de la villégiature
fait grand cas des nouvelles tendances arrivées de Paris. Goldoni
cite dans ses Mémoires "la Poupée de France",
un petit mannequin de cire porteur des nouveautés et promené
dans toute l’Europe. Il détaille dans la pièce citée
une toilette intitulée "le Mariage", faite d’une
étoffe unie et garnie de deux guirlandes de rubans de couleurs
différentes. Goldoni revient sur les derniers avatars du costume
de ville dans plusieurs de ses pièces, notamment dans L’Éventail.
Le costume sollicite les effets dramatiques, il est objet des ressorts
de l’action, avec le travesti, si cher aux auteurs élisabéthains,
et le travestissement, exploité chez Molière, Marivaux,
Beaumarchais et bon nombre de leurs confrères. Il s’agit
aussi d’un thème de divertissement à la mode,
apprécié de la bonne société, et dont
des tableaux aux XVIIe et XVIIIe
siècles puis des journaux de mode au XIXe
siècle relèvent le charme et la vogue. Des titres de
pièces, d’opérettes en particulier, portent des
noms allusifs, comme La Chauve-souris, désignant un
grand manteau du soir, ou Le Domino noir. Gogol donne le
titre du Manteau à un récit que Marcel Marceau
reprendra dans une de ses plus célèbres pantomimes.
Puccini intitule La Houppelande un petit opéra. Plus
récemment, Peter Brook a mis en scène une pièce
intitulée Le Costume, par référence
au terme désignant le vêtement masculin comme nous l’entendons
aujourd’hui.