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"Le théâtre est
geste, et le geste est un acte qui n'a pas sa fin en lui-même,
un mouvement destiné à montrer autre chose." |
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Jean-Paul Sartre, "Théâtre épique
et théâtre dramatique"
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En 1940, alors qu'il se trouve prisonnier dans un camp d'officiers
au stalag de Trèves, Jean-Paul Sartre s'essaie à
l'écriture théâtrale pour la première
fois avec un mystère de Noël, Bariona
ou le Fils du tonnerre. Cette expérience l'éclaire
sur l'efficacité du théâtre, "un art social
qui produit des faits collectifs" qu'il inscrira dans sa démarche
intellectuelle comme une application de son discours philosophique,
mis en dialogue et en scène. En 1974, Sartre admettra
n'avoir plus rien à dire au théâtre :
"On ne peut pas écrire une pièce sans qu'il
y ait urgence."
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Sartre
initié et formé par Dullin
C'est Charles Dullin, le directeur du théâtre de
l'Atelier et l'un des membres du Cartel, formé à
l'école de Jacques Copeau, qui a été pour
Sartre le révélateur du théâtre.
Dullin a fait son éducation théâtrale en
l'aidant à trouver le ton juste, en l'encourageant dans
sa réflexion dramatique. Dès 1941, il lui confie
un cours sur le théâtre antique dans son école
d'art dramatique pour lui permettre de survivre pendant la guerre.
Sartre acquiert ainsi une culture théâtrale qui
l'amène à penser le théâtre antique
comme source d'inspiration et ressort de pièces marquantes
telles Les
Mouches, puisées aux sources de L'Orestie.
Ainsi Sartre auteur dramatique est-il sans nul doute l'héritier
de l'importante aventure théâtrale française
de l'entre-deux-guerres. Il n'a pas cherché à
en renouveler les formes mais à en épurer le contenu
par un retour au tragique.
Sartre restera toujours reconnaissant à Dullin qu'il
soutiendra à plusieurs reprises. En 1966, il revient
sur tout ce qu'il lui doit :
"Envers Charles Dullin en dehors de l'amitié et
du respect que m'inspira l'homme dès que je l'ai connu
j'ai deux sujets de reconnaissance. C'est lui qui, avec
Pierre Bost, sauva par une recommandation chaleureuse mon premier
manuscrit, en passe d'être refusé par les lecteurs
de Gallimard, c'est lui qui en 1943 monta ma première
pièce, Les Mouches, sur la scène du Sarah-Bernhardt.
Si La Nausée n'avait pas été publiée,
j'aurais continué d'écrire ; mais si Les Mouches
n'avait pas été représentée (sic),
je me demande, tant mes préoccupations m'éloignaient
alors du théâtre, si j'aurais continué à
faire des pièces. Ainsi quand je me rappelle les années
38-43, je retrouve Dullin à l'origine des deux formes
principales de mes activités littéraires." Dullin
lui révèle aussi son œuvre à lui-même :
"Il voulut capter des forces dionysiaques et les organiser,
les exprimer par le jeu libre et serré d'images apolliniennes ;
il y réussit. Il le sut et l'entier succès de
cette mise en scène qui faisait rendre à
ma pièce ce qui n'y était sans doute pas mais
que, certainement j'avais rêvé d'y mettre
compensait à ses yeux l'insuccès du spectacle.
Du coup, je gagnai, moi aussi, ce que je sais du métier,
ce sont les répétitions qui me l'apprirent." C'est
avec élégance, en s'adressant aux acteurs, que
Dullin lui fait comprendre qu'il faut, par des coupures, remédier
à un dialogue trop verbeux et "comment une pièce
doit être le contraire d'une orgie d'éloquence".
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Un
théâtre philosophique
Dans ses pièces, surtout les premières, Sartre
se plaît à masquer sa réflexion philosophique
sous les apparences d'un théâtre bourgeois, par
l'écriture, par ses décors, par le choix des scènes
de sa représentation. Et le théâtre existentialiste
trouve dans ce théâtre bourgeois des modèles
que Sartre retaille a contrario pour donner chair à
sa réflexion. Il s'emploie à brouiller les cartes,
à moins que, leurre de lui-même, il ne trouve la
solution de ses messages seulement dans le temps où il
juge bon de lever les malentendus. La lecture de la presse,
de la critique à chaud, notamment lors des reprises,
est éclairante à cet égard.
Fasciné par les acteurs, par la représentation
scénique, Sartre trouve au théâtre une illustration
positive à sa pensée philosophique. À la
manière du répertoire classique et en gardant
une forme traditionnelle, son théâtre se fait la
tribune de ses idées, en usant d'un langage quotidien,
dérangeant, singulièrement efficace. Presque à
la même époque, Mauriac, Gide, Gabriel Marcel et
surtout Camus ont compris cela avec plus ou moins de bonheur.
Sartre, quant à lui, a voulu distinguer sa démarche
théâtrale en définissant un genre original,
"le théâtre de situations", "des situations simples
et humaines", "des libertés qui se choisissent", un théâtre
de la liberté que Francis Jeanson résume par un
raccourci significatif, "la liberté en situation".
Au moment des créations, l'interprétation politique
d'un tel théâtre participe au malentendu dans lequel
s'engouffre la critique collaborationniste (Les
Mouches) puis, après la guerre, les partis politiques
au gouvernement (La
Putain respectueuse), les hommes issus de la Résistance
(Morts
sans sépulture), l'opinion chrétienne
(Huis
clos), quand il ne s'agit pas du parti communiste (Les
Mains sales). Embarrassé, Sartre fait
des mises au point, sur lesquelles il revient notamment lors
des reprises de ses pièces, en donnant des explications
et des sources d'interprétation changeantes, y compris
celles qu'on lit dans l'œuvre de Simone de Beauvoir.
L'article intégral de Noëlle Guibert est publié
dans le catalogue
de l'exposition.
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