Paris, objet d'histoire : une ville, deux
    Paris 
  par Guillaume Le Gall
  
        
       Les transformations urbaines à Paris au XIXe siècle
        ont entraîné  de nombreuses disparitions de formes bâties.
        Contre ces bouleversements, des hommes de lettres, poètes, écrivains,
        historiens, journalistes ou auteurs dramatiques, se mobilisent. Pour
        ces défenseurs du vieux Paris, les transformations mettent en
        péril la mémoire d’une ville qui s’est lentement
        sédimentée. Souvent, ce qui se perd pour ces amateurs,
        ce sont des usages de la ville, des points de repère ponctuant
        des flâneries le long des rues sinueuses. Le ton nostalgique de
        ces complaintes trahit l’angoisse face à l’impuissance
        de ne plus pouvoir reconnaître l’ancien monde et la crainte
        de ne pas savoir  « lire » le nouveau. Ce rapport
        particulier à la ville, du moins tel qu’il nous est décrit
        dans ces nombreux textes, traduit surtout le rejet d’une  évolution
        inéluctable vers une métropole moderne et cosmopolite.
        Les amateurs de la vieille ville, ces érudits saisis d’« une
        excessive tendresse archéologique », vivent la disparition
        comme phénomène de séparation. Dans d’autres
        textes, la ville naissante n’est pourtant pas systématiquement
        remise en question ou critiquée. Elle reste, pour la plupart des
        commentateurs, la promesse d’un confort, d’une hygiène,
        d’une clarté et d’une plus grande circulation dans
        une ville où, il est vrai, le tissu urbain ainsi que les différents
        réseaux n’étaient plus adaptés aux progrès
        naissants.
    
   
		   
      
	  
         
        
 
		 
 « Un cri plaintif » 
 
	      Les protestations qui s’élèvent contre la disparition
		     de la ville ancienne et les transformations haussmanniennes se feront
		     plus véhémentes à partir de 1853. Dans Paris
		     nouveau et Paris futur, Victor Fournel s’indigne
		     des transformations qu’il juge partiales et menées sans égard
		     pour le tissu urbain mineur. C’est encore sur le ton du désespoir
		     et de la nostalgie que sa voix s’élève : « Je
		     suis le cri plaintif et impuissant de Paris qui s’en va contre Paris
		     qui vient. »  L’angoisse de la disparition s’accompagne
		     souvent d’une inquiétude de voir s’appauvrir l’histoire
		     et s’abîmer les monuments. La peur de ne pas reconnaître
		     sa ville et de s’y perdre, au propre comme au figuré, s’exprime
		     dans des complaintes qui finissent par constituer un genre littéraire.
		     L’édification de la ville nouvelle constitue pour Louis Veuillot
		     le signal de la mort de Paris : « Le Paris nouveau n’aura
		     jamais d’histoire, et il perdra l’histoire de l’ancien
		     Paris. »
		
		     
	        Victorien Sardou (1831-1908), auteur dramatique de pièces historiques
		   et  érudit reconnu du vieux Paris, se félicite « d’avoir,
		   dès l’âge de quinze ans, donné pour but à [ses]
		   flâneries des jours de congé la recherche dans les vieux quartiers
		   aujourd’hui éventrés, morcelés, disparus, des
		   moindres vestiges du passé, comme s’[il] avai[t] prévu
		   qu’à bref délai ils seraient mis en poussière
		   par la pioche du démolisseur ».
		
	  
	 
	    
      
		
			  
         
        
 
		  
Une banalité monotone
		   Ceux qui déplorent la disparition du vieux Paris reprochent à Haussmann
		   d’avoir dépersonnalisé les rues et introduit une architecture
		   qu’ils jugent pauvre. Bien que sur le plan architectural et urbain
		   l’haussmannisation ne soit en rien insignifiant, les écrivains
		   regrettent la sinuosité des rues associée au charme et au
		   pittoresque de la vieille ville. Victor Fournel désapprouve « la
		   monotone égalité d’une magnificence banale, [et] la
		   même rue géométrique et rectiligne, qui prolonge dans
		   une perspective d’une lieue ses rangées de maisons, toujours
		   les mêmes ». Selon Alfred Delvau, l’uniformisation de
		   l’architecture se répercute sur les individus : « Aujourd’hui,
		   les fortes et saisissantes individualités sociales d’autrefois
		   ont disparu pour faire place à une masse compacte marchant vers le
		   même but. » Sur un autre mode, un certain Monsieur Claude,
		   chef de la police de sûreté de 1859 à 1875, souligne
		   dans ses Mémoires que l’uniformisation des rues de
		   Paris a nivelé les aspérités, a homogénéisé la
		   rue et les maisons, et a surtout généré de l’ennui  – ce
		   qui, d’après lui, est le pire danger pour la tranquillité publique.
			  
		
			  
        
		Une obligation hygiéniste
		  À ces critiques nombreuses, Haussmann répliquait
		    que les travaux dans Paris constituaient une obligation morale, sociale
		    et hygiéniste. Maxime Du Camp écrit à ce propos : « Je
		    voudrais qu’un coup de baguette magique pût remettre tout à coup
		    Paris dans l’état où nous l’avons connu il y
		    a vingt ans, à l’heure de la révolution de février.
		    Ce serait un cri d’horreur, et nul ne pourrait comprendre qu’un
		    peuple aussi vaniteux que les Parisiens ait pu vivre dans de pareils cloaques. » De
		    plus, le préfet entendait défendre le nouveau style architectural
		    de la ville en soulignant que seuls les taudis avaient été rasés
		    et que les monuments dignes avaient été non seulement préservés,
	      mais aussi mis en valeur.