Atget historien ?
De nombreux parallèles peuvent également être établis
entre l’activité d’Atget et celle d’un historien,
tant par les procédures que par les méthodes que le photographe
utilise. Comme l’historien, le photographe organise son travail
qui repose, pour reprendre la terminologie de Michel de Certeau, sur
la différentiation et l’exclusion. En définissant
strictement son sujet, en excluant de celui-ci toutes traces de la modernité,
le photographe travaille sur les limites spatiales et temporelles – le
vieux Paris, par exemple, est une entité qui combine la géographie
et le temps.
Comme l’historien, le photographe constitue une collection
de documents. Pour former une telle collection, selon Michel de
Certeau, il « faut une opération technique ».
Longtemps, cette opération s’est réduite à « fabriquer
des objets : copier ou imprimer, relier, classer ». Le
collectionneur devient alors « un acteur dans la chaîne
d’une
histoire à faire (ou à refaire) selon
de nouvelles pertinences intellectuelles et sociales. Ainsi la
collection, en produisant un bouleversement des instruments de
travail, redistribue les choses, elle redéfinit des unités
de savoir.
Mais ce qui rapproche peut-être le plus le travail d’Atget
de celui d’un historien se retrouve dans ce que Michel de Certeau
définit comme «
le
geste de mettre à part ».
Car le travail d’Atget, qui constamment distingue
les choses selon le type, le temps et l’espace, est aussi un travail
sur la transformation des objets en documents. Si la démarche
d’Atget
comporte de nombreuses similitudes avec celle d’un historien, sa
vision de l’histoire demeure
très ancrée dans le XIX
e siècle.
Là encore,
il est nécessaire de replacer son travail dans un contexte qui le
précède, c’est-à-dire la période qui
couvre la seconde moitié du siècle de l’invention de
la photographie, quand toute une pratique et tout un vocabulaire
s’inventent
au rythme des progrès d’une technique. Ainsi, les enjeux de
la photographie, notamment autour de la question du document qu’Atget
n’a de cesse de démêler, croisent ceux de l’histoire
dont les bases scientifiques reposent, en partie, sur la définition
du document.