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Déshumanisation Retour vers le passé Portrait de l’ombre Gervaise chez Goujet L’ironie de l’idéal |
Gervaise dura ainsi pendant des mois. Elle
dégringolait plus bas encore, acceptait les dernières avanies, mourait
un peu de faim tous les jours. Dès qu'elle possédait quatre sous, elle
buvait et battait les murs. On la chargeait des sales commissions du
quartier. Un soir, on avait parié qu'elle ne mangerait pas quelque chose
de dégoûtant ; et elle l'avait mangé, pour gagner dix sous. M.
Marescot s'était décidé à l'expulser de la chambre du sixième. Mais,
comme on venait de trouver le père Bru mort dans son trou, sous
l'escalier, le propriétaire avait bien voulu lui laisser cette niche.
Maintenant, elle habitait la niche du père Bru. C'était là-dedans, sur
de la vieille paille, qu'elle claquait du bec, le ventre vide et les os
glacés. La terre ne voulait pas d'elle, apparemment. Elle devenait
idiote, elle ne songeait seulement pas à se jeter du sixième sur le
pavé de la cour, pour en finir. La mort devait la prendre petit à petit,
morceau par morceau, en la traînant ainsi jusqu'au bout dans la sacrée
existence qu'elle s'était faite. Même on ne sut jamais au juste de quoi
elle était morte. On parla d'un froid et chaud. Mais la vérité était
qu'elle s'en allait de misère, des ordures et des fatigues de sa vie
gâtée. Elle creva d'avachissement, selon le mot des Lorilleux. Un matin,
comme ça sentait mauvais dans le corridor, on se rappela qu'on ne l'avait
pas vue depuis deux jours; et on la découvrit déjà verte, dans sa
niche. Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII. |