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Gervaise
aux prises avec la rudesse de l’existence Gervaise boite Gervaise par elle-même L'idéal de Gervaise Gervaise par Coupeau |
Pendant deux heures, jusqu'à dix heures, le
forgeron fumait sa pipe, en regardant Gervaise tourner autour du malade.
Il ne disait pas dix paroles de la soirée. Sa grande face blonde
enfoncée entre ses épaules de colosse, il s'attendrissait à la voir
verser de la tisane dans une tasse, remuer le sucre sans faire de bruit
avec la cuiller. Lorsqu'elle bordait le lit et qu'elle encourageait
Coupeau d'une voix douce, il restait tout secoué. Jamais il n'avait
rencontré une aussi brave femme. Ça ne lui allait même pas mal de
boiter, car elle en avait plus de mérite encore à se décarcasser tout
le long de la journée auprès de son mari. On ne pouvait pas dire, elle
ne s'asseyait pas un quart d'heure, le temps de manger. Elle courait sans
cesse chez le pharmacien, mettait son nez dans des choses pas propres, se
donnait un mal du tonnerre pour tenir en ordre cette chambre où l'on
faisait tout ; avec ça, pas une plainte, toujours aimable, même les
soirs où elle dormait debout, les yeux ouverts, tant elle était lasse.
Et le forgeron, dans cet air de dévouement, au milieu des drogues
traînant sur les meubles, se prenait d'une grande affection pour
Gervaise, à la regarder ainsi aimer et soigner Coupeau de tout son cœur. "Hein ! mon vieux, te voilà recollé, dit-il un jour au convalescent. Je n'étais pas en peine, ta femme est le Bon Dieu !" Lui, devait se marier. Du moins, sa mère avait trouvé une jeune fille très convenable, une dentellière comme elle, qu'elle désirait vivement lui voir épouser. Pour ne pas la chagriner, il disait oui, et la noce était même fixée aux premiers jours de septembre. L'argent de l'entrée en ménage dormait depuis longtemps à la Caisse d'épargne ! Mais il hochait la tête quand Gervaise lui parlait de ce mariage, il murmurait de sa voix lente : "Toutes les femmes ne sont pas comme vous, madame Coupeau. Si toutes les femmes étaient comme vous, on en épouserait dix." Émile Zola, L'Assommoir, chapitre IV. |