Icônes de mai 68 : Les images ont une histoire
Exposition du 17 avril au 26 août 2018, BnF site François-Mitterrand / Galerie 1
Comment s'est construite notre mémoire visuelle collective des événements de Mai 68 ?
Selon quels processus certaines photographies, présentées comme documentaires, ont-elles
atteint un statut d'icônes ? S'appuyant sur près de deux cents pièces – photographies, planches
contact, magazines, documents audiovisuels –, l'exposition présentée par la BnF fait l'histoire de
certaines de ces images désormais célèbres. Elle suit leur trajectoire médiatique pour mettre
en évidence les conditions de leur émergence culturelle dans la mémoire collective.
L'exposition en bref
La barricade, le duel CRS/étudiants, le pavé lancé, le poing levé... depuis 50 ans, la représentation
des événements de Mai 68 est associée à des motifs récurrents. L'exposition analyse le parcours
sinueux de différentes photographies, depuis la planche-contact jusqu'à leur circulation dans les
magazines et autres produits éditoriaux : elle revient sur l'élaboration médiatique et culturelle de la
représentation de ces événements historiques.
de la photographie à l'icône
Le portrait de Daniel Cohn-Bendit face à un CRS par Gilles Caron et la « Marianne de 68 » de Jean-
Pierre Rey constituent deux exemples caractéristiques de la fabrique des icônes. La photographie de Daniel Cohn-Bendit par Gilles Caron n'a pas immédiatement été distinguée et mise
en exergue par les grands titres de la presse magazine. Reprise dans le milieu photojournalistique
à partir de 1970, elle circule plus largement à partir de 1978 puis à l'occasion des anniversaires
décennaux de Mai 68 et de l'agence Gamma (fondée en 1967). Ce sont ces publications successives
dans la presse et autres supports culturels (livres, catalogues,...) qui ont contribué à sa singularisation.
Pour éclairer la trajectoire de cette photographie devenue icône, l'exposition en présente des tirages
originaux mais aussi de nombreuses formes éditées jusqu'en 2008, tout en retraçant la légende
photojournalistique de son succès dans les médias.
La « Marianne de 68 » de Jean-Pierre Rey a également évolué vers un statut d'icône. Publiée en petit
format en 1968, elle a ensuite été diffusée à plusieurs reprises jusqu'en 2008. Au fur et à mesure de
ses publications, le cadrage se resserre, faisant perdre à la photographie son ancrage historique, et
les commentaires se recentrent sur l'image elle-même faisant d'elle un symbole de Mai 68.
une mémoire en noir et blanc
L'exposition interroge également la pratique de la couleur : comment et pourquoi la mémoire visuelle
de Mai 68 se conjugue-t-elle en noir et blanc alors que les événements ont été couverts et diffusés en
couleurs par la presse de l'époque ? Des clichés couleurs ont été pris par de nombreux photographes :
Janine Niépce, Georges Melet, Bruno Barbey, Claude Dityvon... Peu de ces images sont pourtant
remobilisées dans les médias par la suite. L'exposition éclaire ces choix éditoriaux rétrospectifs et
l'amnésie associée à cet usage de la couleur.
récits photographiques
D'autres récits photographiques des événements ont à l'inverse échappé à la mémoire visuelle
commune. En marge de la presse magazine, des photographes ont pris part à des démarches
collectives. Des initiatives d'expositions et de projections photographiques ont vu le jour, portées
par des personnalités qui racontent leur propre printemps 1968 et participent aux réflexions
politiques et sociales à l'œuvre. C'est le cas de l'exposition du club amateur des 30X40 ou du
diaporama collaboratif de Jean Pottier et Jacques Windenberger présentés dans l'exposition. Ces
montages et séries photographiques constituent une redécouverte de recherches d'alternatives aux
représentations dominantes des grands médias.
« l'icône absente »
Pour finir, l'exposition interroge en creux le statut d'icône. Pourquoi la première « nuit des barricades »
n'a-t-elle paradoxalement laissé aucune image persistante ? Il s'agit de la nuit du 10 au 11 mai, qui a
fait monter en Une des principaux magazines d'information de l'époque les événements du printemps
1968. Malgré l'imaginaire puissant qu'elles suscitent, ces scènes d'affrontements nocturnes n'ont
généré aucune icône. Les photographies produites ont peu fait l'objet de publications à l'époque et
de citations ultérieures. Cette absence d'icône trouve des pistes d'explication dans le manque de
lisibilité de ces images et leur inadéquation visuelle avec le récit porté par les médias : celle d'un duel
entre jeunesse et forces de l'ordre.