Camden, 23 mai 1921
Il faut noter qu’il existe une différence entre les points
de vue adoptés à Londres et à Paris. Londres précède
l’arrangement parisien de près de deux ans. A Londres
le British Museum n’a accepté que des matrices métalliques
et seulement quand il s’agissait d’hommes célèbres,
notamment dans la vie politique. On a vu dans une note du Major Dixon
qu’en février 1911 les dirigeants du British Museum ont
refusé les matrices de H.B. Irving et d’Arthur Bourchier
comme n’offrant pas assez d’intérêt, bien
que ces messieurs eussent une réputation majeure dans leur profession.
Plus tard, toutefois, ils acceptèrent les matrices de Lewis
Waller, acteur anglais. Toutefois les grands acteurs ont été seuls
retenus. Aucune publicité n’a été autorisée,
les dirigeants du British Museum ayant été parfaitement
clairs sur ce point, condition pour qu’ils acceptassent ce don.
L’opération parisienne est totalement différente. Là on
n’a envisagé que la sphère purement musicale et les documents
que je vous ai envoyés vous donnent un ample exemple de ce que qui s’est
passé. Comme, toutefois, ils sont tous rédigés dans un français
fleuri, et que la traduction en est difficile, je pense qu’il vaut mieux
que je vous explique en quelques mots ce qui s’est passé.
Les caves de l’Opéra de Paris se situent au cinquième
sous-sol et dans la plus profonde, où la température est toujours
uniforme, une sorte de caveau en brique a été construit et des
tablettes de métal disposées à l’intérieur.
Des disques gramophone aujourd’hui sur le marché, y ont été placés
en piles, séparés les uns des autres par un fin plateau de verre.
De petits cubes de verre plus épais qu’un disque ont été placés
au bord de chaque plateau de verre afin qu’il n’y ait pas d’appui
sur chaque disque mais un espace effectif entre eux. La pile entière a été drapée
dans de l’amiante épaisse et placée dans une urne de plomb
dont l’air avait été entièrement retiré et
le vide réalisé autant que faire se peut, puis les urnes furent
scellées hermétiquement.
A l’heure où je vous écris, il y a environ quatre ou cinq
de ces urnes sous ces voûtes. En même temps une grande urne contenant
un gramophone complet avec aiguilles et tous les accessoires nécessaires
fut aussi placée dans une alcôve. D’éminents scientifiques
français nous avaient assurés qu’avec ces précautions
les enregistrements et l’appareil pourraient être retrouvés
intacts après une période de cent ans.
La présentation du premier lot, le 24 décembre 1907, fut l’occasion
d’une véritable cérémonie à laquelle assistèrent
un ensemble de personnalités distinguées de la musique et de la
littérature. Les journaux en ont rendu compte et j’ai constitué un
dossier de presse issu du monde entier. Ces coupures viennent de Constantinople,
de Roumanie et des autres pays des Balkans ainsi que de l’Europe de l’Est
et même d’Amérique, pratiquement tous les principaux journaux
en ont parlé. Bien sûr je n’ai pas conservé de copies
de la plupart. C’eût été beaucoup trop long, l’occasion
de maintes redites.
L’article du Figaro,
traduit, que je vous envoie est un bon exemple de ce qui a été écrit.
En Amérique j’ai trouvé dans le
Scientific
American un article
publié le 25 juin 1908, qui propose des photographies. Cet article
est très clair et bien écrit.
The Voice of Victor, daté de
mars 1908 contient également la copie d’un article adapté de
celui paru dans le journal parisien
Le Messidor du 26
décembre 1907.
Le 13 juin 1912 eut lieu une nouvelle cérémonie à l’Opéra
et un second lot de disques fut enseveli. Depuis lors, en particulier du fait
de la guerre, aucun nouveau dépôt n’a été fait.
J’espère que ces informations vous intéresseront
et correspondront à votre attente.
Sincèrement votre,
Alfred Clark
* Ernest John, "directeur
de la communication" de
la Victor Talking Machine Company (Camden)