Les variantes narratives du Petit Chaperon rouge

D’après Claude Lévi-Strauss, "Il n’y a que des variantes" au Petit Chaperon rouge. Ce vieux conte de tradition orale et populaire connaît un prodigieux succès, répandu par la littérature de colportage. Plus de trente versions différentes sont répertoriées par Paul Delarue (1886-1956) dans son Catalogue raisonné du conte français (1951) : deux versions sont directement influencées par Perrault mais vingt versions viennent directement de la tradition orale et une douzaine sont mixtes.
   

"Le côté des épingles" ou "le côté des aiguilles" ? (conte nivernais)
"Je m’en vais par ce chemin ici et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera" (Perrault).
La question du chemin à prendre, qu’il soit entendu au sens propre ou figuré, occupe une place centrale dans la plupart des versions, orales ou littéraires, du Petit Chaperon rouge.
"Quel chemin prends-tu ? dit le Bzou (Loup-Garou), celui des Aiguilles ou celui des Epingles ?"
Fonctionnant sur le modèle de la devinette avec des objets voisins aux termes quasiment interchangeables, la question se charge d’un double sens lorsque l’on connaît la valeur symbolique des épingles et des aiguilles dans la société française de l’Ancien Régime : symboles du passage de l’adolescence à la maturité féminine, ces instruments piquants et perforants étaient réservés aux filles en âge de se marier et de procréer. C’est en offrant une douzaine d’épingles à leurs promises que les garçons faisaient leur cour et c’est en lançant des épingles dans une fontaine que les filles se promettaient à leurs amoureux. Dans une version du Forez, le petit Chaperon rouge choisit cependant "le chemin des épingles avec lesquelles on peut s’attifer" au lieu du "chemin des aiguilles avec lesquelles il faut travailler". Le côté des épingles symbolise la vie sociale de la jeune fille en quête d’époux alors que le côté des aiguilles se tourne davantage vers la vie domestique et son cortège de contraintes.
  
"Un repas fortifiant" (Yvonne Verdier)
Certaines versions, la plupart d’origine orales, font intervenir un épisode absent des versions littéraires retranscrites par Perrault ou par les frères Grimm. Il s’agit du repas cannibalesque au cours duquel le petit Chaperon rouge dévore les restes de sa grand-mère, conservés par le loup dans une "bassie". Un animal la met en garde : " Suivant qu’elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :"Pue ! Salope ! Qui mange la chair, qui boit le sang de sa Grand"" (conte nivernais)
En absorbant les organes génitaux et sexuels de sa (grand) mère, le petit Chaperon rouge devient une femme et acquiert à son tour le pouvoir de procréer. En faisant disparaître ce repas de leur transcription, les frères Grimm, tout comme Charles Perrault, édulcorent le message du vieux conte populaire en se contentant d’avertir l’enfant des risques qu’elle prend en s’éloignant du droit chemin.
  

Conte de passage ou conte d’avertissement ?
La version de Perrault illustrée par Gustave Doré montre le petit Chaperon rouge et le loup, couchés dans le même lit. La petite fille semble fascinée et intriguée autant que révulsée. Alors que tout son comportement hésite entre l’attirance et la répulsion, elle maintient le drap d’un geste pudique sur son épaule droite alors que ses yeux semblent dire au loup le contraire de ce que son geste évoque. Le conte de Perrault se termine très brutalement mais la moralité permet de compenser en partie la dureté de la chute finale en indiquant que le temps du conte doit être ramené au quotidien :
"Je dis loup, car tous les loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte
Sans bruit, sans fiel et sans courroux
Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,
[…] De tous les loups sont les plus dangereux."

Jacob et Wilhelm Grimm donnent, quant à eux, deux versions du Petit Chaperon rouge. Un chasseur intervient et ouvre le ventre du loup endormi pour en extraire la petite fille et sa grand-mère. Le premier conte s’arrête sur cet épisode alors que la deuxième version fait intervenir un autre loup : la petite fille échaudée refuse de l’écouter en allant trouver sa grand-mère pour tout lui raconter. Le loup, qui l’avait suivie, est à son tour dupé par les deux femmes unies dans l’épreuve, et se noie en tombant dans une auge.

"Une des réussites les plus paradoxales de notre littérature" (Marc Soriano), ce conte n’en finit pas de nous interroger et de résonner dans l’imaginaire collectif, avec sa structure simple et binaire, l’utilisation de formules répétitives – "tire la chevillette et la bobinette cherra" – et d’expressions pittoresques, reflets d’un passé qui l’était déjà lorsque Perrault l’a transposé. La vogue ne s’est pas éteinte comme le montrent les multiples variantes contemporaines modernisées, du Petit Chaperon bleu marine de Dumas et Moissard au Petit Chaperon vert de Solotareff en passant par les versions de Fmurr ou de Claverie, dans laquelle la mère est marchande de pizza et le loup gérant d’une casse automobile.