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« Élever un monument à l’éphémère »

 
Vouloir « élever un monument à l’éphémère », comme le dit Ariane Mnouchkine, c’est ce que fit Auguste Rondel, avec une prescience incertaine mais obstinée de ce qu’allaient devenir ses collections. Le récit-témoignage de Marie Etienne sur Vitez dans son livre Le Roman du théâtre stigmatise cette obsession : présenter les œuvres "dans le temps où elles sont nées, présenter le temps qui les connaît." En termes de contenu, le spectacle se situe également dans un moment fugace et circonstanciel, en témoignent les contextes de ce qui fit parfois des succès temporaires, liés à ce qu’on appelait jadis des applications, autrement dit l’allusion qui provoque les réactions du public et de l’opinion en général, le rire, le succès ou le scandale. "Je voudrais pouvoir décrire le succès au théâtre ; ce paroxysme de la représentation, cette effusion d’où naît le tumulte de l’applaudissement, ce moment dramatique où une même âme saisit et cristallise tout d’un coup la salle entière par une magnifique et miraculeuse contagion."

« L'Art de l’actualité »

 
"Art de l’actualité", c’est la définition du théâtre selon Jean-Louis Barrault, parce que la représentation est la seule manifestation achevée de l’art du théâtre. Le théâtre traite du présent et du simultané, analyse encore Jean-Louis Barrault, parce qu’il est l’"art en devenir". Ce que Daniel Mesguich nomme à son tour l’"éternel éphémère".

L’effet d’éphémérité s’affiche dans l’allusion chansonnière liée à des événements politiques. Durant l’Occupation un personnage plutôt ridicule et portant un prénom du XIXe siècle, Adolphe, que l’on retrouve dans les comédies de Labiche, déchaîne l’hilarité, au grand dam de l’occupant ; tels drames qui prônent la révolte, la résistance à l’ennemi, Le Soulier de satin, ou La Reine morte, donnent espoir dans l’avenir aux Parisiens et attirent un considérable public à la Comédie-Française. En 1966 à l’Odéon, dans l’onde de choc provoquée par les suites de la guerre d’Algérie, Les Paravents de Jean Genet font scandale. Mais ces allusions sont la plupart du temps involontaires, ou applications a posteriori. Comme l’écrit Vitez : "On ne peut pas toujours raconter l’histoire de notre temps en utilisant les autres temps. Hitler n’est pas entièrement réductible à Richard III et la police de Louis XIV ne peut entièrement expliquer les tyrannies d’aujourd’hui."

Une communion émotionnelle

 
Et que dire de la critique, plus encore soumise à la versatilité des goûts et des modes ?
Elle fait et défait l’opinion, moins que naguère certes. Bernard Dort analyse une critique qui s’efforce d’expliquer plutôt que de juger, allant même jusqu’à être dans le spectacle : "Un nouveau savoir théâtral est en train de se constituer. Il prend en considération la représentation considérée comme une totalité signifiante. Il s’intéresse à son histoire, à son économie, à sa sociologie. Il fait appel à la sémiologie…" Exigence très marquée par rapport à une démarche elle-même ambitieuse.
Voilà comment, après un grand tour de piste, on revient à la case départ : l’acteur. C’est bien lui le secret de cette éphémérité qui rend tout spectacle aléatoire. C’est ce phénomène humain en raccourci qui vit cent vies en une carrière et toute une vie en deux heures, heures éblouissantes ou manquées… marquées par la densité du moment, par le talent ou le refus de participation du public, bizarre alchimie, qui fait d’un divertissement un instant sublime ou rien du tout. Un événement théâtral passé inaperçu, incompris, a pu être un non-événement parce que trop en avance sur son époque. C’est en définitive un programme récupéré par hasard, qui en atteste l’existence, alors que la mémoire collective l’a totalement rejeté.
Il y a des actes manqués par le public, par l’opinion et c’est la trace qui les relève. C’est le défi lancé à l’éphémère.
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