1945 – 1952


   
  Saint-Germain-des-Prés

Devenu un lieu mythique, Saint-Germain-des-Prés, avec les cafés de Flore et des Deux Magots, avait l'avantage, pendant la guerre, de permettre de se réunir et de travailler dans des salles chauffées. Sartre, qui aimait particulièrement cette atmosphère, déserta Montparnasse pour ce quartier, qui fut le point de rencontre des zazous et des existentialistes. La place a été rebaptisée en l'an 2000 "Place Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir".
Simone de Beauvoir analyse ce phénomène de mode dans La Force des choses : Boris Vian "avait été un des animateurs du mouvement zazou qu'avaient engendré la guerre et la Collaboration. Fils et filles de famille, anarchistes, apolitiques, contre leurs parents pétainistes, ils affichaient une anglophilie provocante ; ils imitaient l'élégance gourmée, l'accent, les manières des snobs anglais. L'Amérique, ils y pensaient si peu qu'ils furent déconcertés quand Paris se remplit d'Américains ; pourtant ils avaient avec eux un lien très fort : le jazz, dont ils étaient fanatiques. L'orchestre où jouait Vian fut engagé par le "French Welcome Committee" le jour même de l'entrée des G. I. à Paris. [.] Ainsi s'explique la tenue qui fut, pendant trois ans, celle des ex-zazous ; ils s'habillaient avec des surplus américains : blue-jeans et chemises à carreaux. Ils se réunissaient avenue Rapp, dans le quartier des Champs-Élysées et aussi au Champo, au coin de la rue Champollion, qui était alors un dancing. Une poignée d'entre eux aimaient, outre le jazz, Kafka, Sartre, les romans américains. Pour lire, pour discuter, ils venaient à Saint-Germain-des-Prés."
   
  Un écrivain engagé

En 1941, revenu des camps de prisonniers où il a découvert la solidarité, Sartre, abandonnant l'individualisme pacifiste d'avant-guerre, souhaite agir, donc s'engager. "Il comprit que, vivant non dans l'absolu mais dans le transitoire, il devait renoncer à être et décider de faire. Une fois la paix retrouvée il ferait de la politique...", témoigne Simone de Beauvoir dans La Force des choses. Après l'échec de Socialisme et Liberté, c'est dans le domaine idéologique qu'il s'aventure en premier lieu, choisissant d'exprimer dans la revue des Temps modernes sa conception de l'écrivain responsable. Entre février et juillet 1947, il publie Qu'est-ce que la littérature ?, réflexion stimulante sur la littérature et la politique, manifeste de la littérature engagée. Dans des propos rapportés par Simone de Beauvoir, il se dit "osciller entre la prise de position idéologique et l'action. Mais si je préconise une position idéologique, aussitôt des gens me poussent à l'action : Qu'est-ce que la littérature ? me conduit au RDR."
 
Dès l'année suivante, en effet, tout en continuant de rédiger les Notes pour une morale, il entre au Rassemblement démocratique révolutionnaire, parti militant fondé, entre autres, par David Rousset et Georges Altam. Le RDR, plus un mouvement qu'un parti proprement dit (il autorisait la double appartenance), aspirait à un socialisme révolutionnaire et démocratique qui rejetait à la fois le stalinisme du Parti communiste français et le réformisme des sociaux-démocrates de la SFIO : il s'agissait de créer une "troisième force" à gauche, à la fois plus révolutionnaire que la SFIO et plus démocratique que le PCF.
       

  L'Amérique

Passionné dans sa petite enfance par les aventures des héros de bandes dessinées américaines, Buffalo Bill, Nick Carter, etc., amateur de westerns puis de films de Charlie Chaplin, Sartre fut très vite fasciné par l'Amérique.
Jeune professeur au Havre il choisira comme sujet de causerie devant le public de la Lyre havraise les romanciers américains qu'il vient de découvrir, Faulkner, Hemingway, Dos Passos surtout, "le plus grand écrivain de notre temps", qui aura une influence déterminante, plus tard, sur Les Chemins de la liberté. Il devient également amateur éclairé de jazz au point de l'intégrer au roman qu'il est en train d'écrire. Les quatre notes de saxophone de la chanson Some of these days sont aussi emblématiques de La Nausée que le marronnier du jardin public. Aussi fut-il particulièrement heureux de partir en janvier 1945 aux États-Unis pour faire une série de reportages pour le compte du Figaro et de Combat.
"Vers la fin de novembre, les USA voulurent faire connaître en France leur effort de guerre et invitèrent une douzaine de reporters. Jamais je ne vis Sartre aussi joyeux que le jour où Camus lui offrit de représenter Combat. [.] D'après un accord passé entre Camus et Brisson, il devait donner à celui-ci quelques articles ; il lui envoya des impressions, des réflexions, des notes écrites au courant de la plume, réservant à Combat les papiers qui lui coûtaient du temps et de la peine : Camus qui avait lu la veille dans le Figaro une description désinvolte et gaie des villes d'Amérique recevait, consterné, une étude appliquée sur l'économie de la Tennessee Valley" (Simone de Beauvoir, La Force des choses).