« Bien des gens ne peuvent rendre compte de leurs voyages que par les bornes des grands chemins ou par les noms des auberges, des villages et des villes qui se rencontrent sur leur route. Ils ne savent pas même s'orienter ; et s'ils ont été au midi ou au nord. Ils traversent, sans s'en apercevoir, les prairies, les vallons, les forêts : la nature n'est plus rien pour eux : Les végétaux, qui en font le plus bel ornement, ne parlent pas à leur âme desséchée par la cupidité. Nos laboureurs mêmes, ne voient que des bottes de foin dans les prés fleuris, et des sacs de blé dans les moissons ondoyantes de la douce Cérès. La forêt la plus majestueuse ne leur présente que des bûches et des fagots : elle n'est digne de leur attention que quand elle est en coupe réglée : ils ne la regardent que quand elle est abattue. Cependant, c'est des harmonies des végétaux que les arts, qui font le charme de la vie, tirent leurs principaux agréments. La poésie, l'éloquence, la morale même, nous ravissent par les images qu'elles en empruntent. »
Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature, Œuvres complètes, tome 8, Paris, Ladvocat, 1826.