Les titres donnés par Kenna à ses photographies – et il y apporte une extrême exactitude – méritent à cet égard un examen minutieux et nous apportent une réponse. Nom précis de lieu, pays, date, voilà qui engagerait la photographie dans le régime du document. Hypothèse vite battue en brèche, car le sous-titre définit clairement le genre :
Study/Étude. Toute la pensée sous-tendant le travail de Kenna est subsumée sous ce terme, claire référence à la peinture, et qui, annonçant le caractère partiel de chacune des images, implique de les considérer dans leur masse et leur ensemble. La
Study n’est pas le stade préparatoire d’une œuvre ensuite peaufinée et retravaillée, mais se veut d’entrée œuvre parfaitement achevée appelée à se combiner avec d’autres, se révèle comme aspect fermé sur lui-même, qui cependant appelle la possibilité d’une nébuleuse d’autres captures. La perception saisit le monde et ses objets comme « ici et maintenant », avant de les abandonner à la pensée logique ou esthétique. Le tout est antérieur aux parties, mais chacune des parties, riche de sa propre valeur, s’offre à l’expérience du regardeur, à la pratique de l’artiste qui la refaçonne dans le processus dynamique de la création. Nous pourrions rapprocher la conception intellectuelle de la
Study, chez Kenna, de la conception phénoménologique de « l’esquisse » que bâtit Husserl dans son exemple fameux de la table, car si « la vue photographique rapproche du réel mieux que ne saurait le faire le réel lui-même (
Roland Recht) », une figure y advient aux dépens d’une autre, tout aussi légitime. La multiplicité des points de vue est un moyen de déborder leur exiguïté.
La gloire du lieu