Kenna, qui n’a pas froid aux  yeux, s’est colleté avec l’exercice périlleux de l’illustration de textes  littéraires. Flaubert s’indignait à l’idée que l’on ait le culot de déposer des  images au pied de sa prose. Raymond Roussel, afin d’illustrer les 
Nouvelles  impressions d’Afrique, fit appel au peintre Zo, et lui ayant fourni un  cahier des charges des plus maniaques obtint un objet d’une platitude  absolument fascinante, proche du degré zéro de l’iconographie, mais qui  n’atomise pas le texte. 
  Kenna choisit 
Le Chien des Baskerville, de Conan  Doyle l’un des plus célèbres romans du canon holmesien, et le plus  étrangement construit. Le détective, absent du récit pendant les deux tiers de  l’intrigue, n’est informé que par les écrits du Dr Watson qui, l’entendement toujours  paralysé, se livre à de longues et dramatiques descriptions de paysages ancrés  dans la tradition du gothique anglais. C’est un roman atmosphérique, dans tous  les sens du terme. Kenna devra éviter le syndrome du train fantôme –  l’apparition de la bestiole démoniaque – et contourner l’écueil du pléonasme.  Une fois encore il s’agit d’un retournement : celui de l’
ekphrasis,  représentation textuelle d’une représentation visuelle. « La conjonction  du texte et de l’image qui relèvent d’un ordre sémiotique différent »  semble « même si elle le fait de manière implicite, exclure la présence physique  de l’image aux côtés du texte descriptif (Véronique Montémont) ». 
   
Le rôle d’imaginer l’objet  décrit nous revenant de droit à nous lecteurs, la photographie, par la vertu de  son effet de réel, coupe les jarrets à l’imagination, et fissure le « nappé »  de la lecture. Un écueil que Kenna illustrateur surmonte par le choix non de  l’adhérence, mais de l’équivalence à l’atmosphère du texte. Il n’est plus  nécessaire de choisir entre description et image, photographie et fiction :  l’insertion de photographies de paysage connectées au texte et déconnectées de  l’anecdote donne un lieu au récit, et n’offrant qu’un support, installe  l’ambiance. Dans l’entre-deux du manifesté/caché, l’esprit du lecteur s’éploie  et batifole. À distance. Ailleurs.