D'un coin de la galerie, on passe dans une grande chambre, qui est vis-à-vis la salle à manger : elle a ses fenêtres, d'un côté sur le parterre, de l'autre sur la prairie et immédiatement au dessous de ses fenêtres est une pièce d'eau qui réjouit également les yeux et les oreilles ; car l'eau tombe de haut dans un bassin de marbre, blanchissante d'écume. Cette chambre est fort chaude en hiver, parce que le soleil y donne de toutes parts. Auprès est un poêle, qui, lorsque le temps est couvert, supplée par sa chaleur aux rayons du soleil. De l'autre côté est une salle vaste et gaie, où l'on se déshabille pour prendre le bain, et ensuite la salle du bain d'eau froide, où est une baignoire spacieuse et sombre. Si vous voulez un bain plus large ou plus chaud, vous le trouvez dans la cour, et, tout auprès, un puits, qui fournit de l'eau froide quand la chaleur incommode. A côté de la salle du bain froid est celle du bain tiède, échauffée par le soleil, mais moins que celle du bain chaud, parce que celle-ci est en saillie. On descend dans cette dernière par trois escaliers, dont deux sont exposés au soleil ; le troisième l'est beaucoup moins, sans être pour cela plus obscur. Au dessus de la chambre, où l'on quitte ses habits pour le bain, est un jeu de paume, divisé en plusieurs parties, pour différentes sortes d'exercices.
Non loin du bain est un escalier qui conduit dans une galerie fermée, et, auparavant, dans trois appartements, dont l'un a vue sur la petite cour ombragée de platanes, l'autre sur la prairie : le troisième, qui donne sur des vignes, a autant de points de vue que d'ouvertures différentes. A l'extrémité de la galerie fermée est une chambre prise dans la galerie même, et qui regarde le manége, les vignes, les montagnes. Près de cette chambre en est une autre, exposée au soleil, surtout pendant l'hiver. De là, on entre dans un appartement, qui joint le manège à la maison : tel est l'aspect qu'il présente de face. A l'un des côtés s'élève une galerie fermée, tournée vers le midi, et où l'on voit les vignes de si près, que l'on croit y toucher. Au milieu de cette galerie on trouve une salle à manger, qui reçoit des vallées de l'Apennin un souffle salutaire. La vue s'étend de là sur des vignes, par de très-grandes fenêtres, et même par les portes, en traversant l'étendue de la galerie. Du côté où cette salle n'a point de fenêtres est un escalier dérobé, destiné au service de la table. A l'extrémité est une chambre, pour laquelle le coup d'œil de la galerie n'est pas moins agréable que celui des vignes. Au dessous est une galerie presque souterraine, et si froide en été, que sa température naturelle lui suffit, et qu'elle ne reçoit ni ne laisse désirer aucun souffle rafraîchissant. Après ces deux galeries fermées est une salle à manger, suivie d'une galerie ouverte, froide avant midi, chaude quelques heures après. Elle conduit à deux appartements : l'un est composé de quatre chambres ; l'autre de trois, que le soleil, en tournant, échauffe de ses rayons, ou laisse dans l'ombre.
Devant ces bâtiments, si agréables et si bien disposés, est un vaste manège ; il est ouvert par le milieu, et s'offre d'abord tout entier à la vue de ceux qui entrent. Il est entouré de platanes ; et ces platanes sont revêtus de lierre : ainsi le haut de ces arbres est vert de son propre feuillage ; le bas est vert d'un feuillage étranger. Ce lierre court autour du tronc et des branches, et s'étendant d'un platane à l'autre, les lie ensemble. Entre ces platanes sont des buis ; et ces buis sont par dehors environnés de lauriers, qui mêlent leur ombrage à celui des platanes. L'allée du manège est droite ; mais à son extrémité elle change de figure, et se termine en demi-cercle. Ce manège est entouré et couvert de cyprès, qui en rendent l'ombre et plus épaisse et plus noire. Les allées circulaires, qui sont en grand nombre dans l'intérieur, sont au contraire éclairées du jour le plus vif. Les roses y naissent de tous côtés, et les rayons du soleil s'y mêlent agréablement à la fraîcheur de l'ombre. Après plusieurs détours, on rentre dans l'allée droite, qui, des deux côtés, en a beaucoup d'autres séparées par des buis. Là, est une petite prairie ; ici, le buis même est taillé en mille figures différentes, quelquefois en lettres, qui expriment le nom du maître, ou celui de l'ouvrier. Entre ces buis, vous voyez s'élever tantôt de petites pyramides, tantôt des arbres chargés de fruits : à l'ouvrage de l'art se mêle tout à coup l'imitation de la nature simple et rustique. Un double rang de platanes peu élevés occupe le milieu.
Aux platanes succède l'acanthe flexible, serpentant de tous cotés, et ensuite un plus grand nombre de figures et de noms tracés en verdure. A l'extrémité est un lit de repos de marbre blanc, couvert d'une treille, soutenue par quatre colonnes de marbre de Caryste. On voit l'eau s'échapper du lit de repos, comme si le poids de celui qui s'y couche la faisait jaillir. De petits tuyaux la conduisent dans une pierre creusée exprès ; et de là, elle est reçue dans un bassin de marbre, d'où elle s'écoule par des conduits cachés, ménagés si adroitement, qu'il est toujours plein, et pourtant ne déborde jamais. Si l'on veut prendre un repas en ce lieu, on range les mets les plus solides sur les bords du bassin, et les plus légers flottent dans des corbeilles façonnées en navires et en oiseaux. A l'un des côtés est une fontaine jaillissante, qui donne et reçoit l'eau en même temps : car l'eau, après s'être élancée, retombe sur elle-même ; et, par deux ouvertures qui se joignent, elle descend et remonte sans cesse.
Vis-à-vis du lit de repos est une chambre, qui lui donne autant d'agrément qu'elle en reçoit. Elle est toute brillante de marbre ; ses portes sont entourées et comme bordées de verdure. Au dessus et au dessous des fenêtres, on ne voit aussi que verdure de toutes parts. Auprès, est un petit cabinet, qui semble comme s'enfoncer dans la même chambre, et qui en est pourtant séparé. On y trouve un lit et, malgré les fenêtres qui l'éclairent de tous cotés, l'ombrage qui l'environne, le rend sombre : en effet, une vigne agréable l'embrasse de son feuillage, et monte jusqu'au faîte. A la pluie près, que vous n'y sentez point, vous croyez être couché dans un bois. On y trouve aussi une fontaine, qui se perd dans le lieu même de sa source. En différents endroits sont placés des siéges de marbre, qui reçoivent, ainsi que la chambre, ceux qui sont fatigués de la promenade. Près de ces sièges, sont de petites fontaines ; et dans tout le manège vous entendez le doux murmure des ruisseaux qui, dociles à la main de l'ouvrier, suivent par de petits canaux le cours qu'il lui plaît de leur donner. Ainsi on arrose tantôt certaines plantes, tantôt d'autres, quelquefois toutes en même temps.
J'aurais abrégé depuis longtemps ces détails, qui vous paraîtront minutieux, si je n'eusse résolu de parcourir avec vous, dans cette lettre, tous les coins et recoins de ma maison. J'ai pensé que vous deviez lire sans ennui la description d'un lieu que vous auriez du plaisir à voir ; étant libre surtout d'interrompre votre lecture, de laisser là ma lettre, de vous reposer à loisir. D'ailleurs, j'ai cédé à mon penchant ; et j'avoue que j'en ai beaucoup pour tous mes ouvrages commencés ou achevés. En un mot (car pourquoi ne pas vous découvrir mon goût, ou, si vous voulez, mon entêtement ?), je crois que la première obligation de tout homme qui écrit, c'est de songer à son titre : il doit plus d'une fois se demander quel est le sujet qu'il traite, et savoir que, s'il n'en sort point, il n'est jamais long ; mais qu'il est toujours très-long, s'il s'en écarte. Voyez combien de vers Homère et Virgile emploient à décrire, l'un les armes d'Achille l'autre celles d'Enée. Ils sont courts pourtant, parce qu'ils ne font que ce qu'ils s'étaient proposé de faire. Voyez Aratus rechercher et rassembler les plus petites étoiles : cependant il ne s'étend point trop ; car ce n'est point une digression de son ouvrage ; c'est son sujet même. Ainsi, du petit au grand, dans la description que je vous fais de ma maison, si je ne m'égare point en récits étrangers, ce n'est pas ma lettre, c'est la maison elle-même qui est grande.
Je reviens à mon sujet, pour ne pas être condamné par mes propres règles, en faisant une digression trop longue. Vous voilà instruit des raisons que j'ai de préférer ma terre de Toscane à celles que j'ai à Tusculum à Tibur, à Préneste. Outre tous les autres avantages dont je vous ai parlé, le loisir y est plus complet, plus sûr, et par conséquent plus doux : point de cérémonial à observer : les fâcheux ne sont point à votre porte tout y est calme et paisible ; et ce profond repos ajoute encore à la salubrité du climat, à la sérénité du ciel, à la pureté de l'air. Là, se fortifient à la fois mon corps et mon esprit : j'exerce l'un par la chasse, l'autre par l'étude. Mes gens aussi jouissent dans ce lieu d'une santé parfaite, et, grâce au ciel, je n'ai jusqu'ici perdu aucun de ceux que j'ai amenés avec moi. Puissent les dieux me continuer toujours la même faveur, et conserver toujours à ce lieu les mêmes privilèges ! Adieu. »