« Si dans la peinture, où la disposition de tous les objets dépend de la seule imagination du Peintre, où son tableau n'est assujetti qu'à un seul point de vue, où l'artiste est le maître des phénomènes du ciel, des effets de la lumière, du choix des couleurs et de l'emploi des accidents les plus heureux, la belle ordonnance d'un paysage est néanmoins une chose si rare et si difficile ; comment pourrait-on se figurer que dans l'ordonnance d'un vaste tableau sur le terrain, où le Compositeur avec les mêmes difficultés pour l'invention, rencontre à chaque instant dans l'exécution, une foule d'obstacles qu'il ne peut vaincre qu'à force de ressources, d'imagination et d'expérience, et par une assiduité et un travail soutenu ; comment pourrait-on, dis-je, se figurer qu'une pareille composition puisse être dictée par la fantaisie, abandonnée au hasard ou à un Jardinier, et conduite sans principes, sans réflexion, sans plan et sans dessein ? Il en serait précisément comme de cet ivrogne, qui, en jetant au hasard des couleurs contre une muraille, s'imaginait faire un tableau. [ ... ]
Ce n'est donc qu'en la disposant avec habileté, ou en la choisissant avec goût, qu'on peut trouver ce qu'on a voulu chercher : le véritable effet de paysages intéressants.
Voilà le mot, passons aux principes. La peinture et la poésie ont pour objet de présenter les plus beaux effets de la nature : l'art de la bien disposer, de l'embellir, ou de la bien choisir ayant le même but, doit, par conséquent, employer les mêmes moyens. Or c'est uniquement dans l'effet pittoresque que l'on doit chercher la manière de disposer avec avantage, tous les objets qui sont destinés à plaire aux yeux : car l'effet pittoresque consiste précisément dans le choix des formes les plus agréables, dans l'élégance des contours, dans la dégradation de la perspective ; il consiste à donner, par un contraste bien ménagé d'ombre et de lumière, de la saillie, du relief, à tous les objets, et à y répandre les charmes de la variété, en les faisant voir sous plusieurs jours, sous plusieurs faces, et sous plusieurs formes ; comme aussi dans la belle harmonie des couleurs, et surtout dans cette heureuse négligence, qui est le caractère distinctif de la nature et des grâces.
Ce n'est donc ni en Architecte, ni en Jardinier, c'est en Poète et en Peintre, qu'il faut composer des paysages, afin d'intéresser tout à la fois, l'œil et l'esprit. »
René-Louis de Girardin,
De la composition des paysages, ou Des moyens d'embellir la nature autour des habitations en joignant l'agréable à l'utile, P.-M. Delaguette (Genève), 1777
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