I. Les Nadar
L’entreprise Nadar est en tout point exceptionnelle : un des plus célèbres ateliers du XIXe siècle, bien implanté à Paris et parfois en province, exploitant un fonds et une réputation qui ont survécu au-delà du XIXe siècle.
Trois générations contribuent à la pérennité du pseudonyme Nadar sur presque un siècle, de 1855 à 1948 : les frères Adrien et Félix Nadar, Paul Nadar, le fils de Félix et Ernestine Nadar, puis Marthe Nadar, la fille de Paul. Aucun des grands studios nés au milieu du XIXe siècle, ceux de Reutlinger et de Pierre Petit par exemple, ne survit après la Seconde Guerre mondiale. Tous basculent alors dans l’histoire ou dans un oubli qui jamais n’enterre les Nadar. La maison Nadar, restée dans les mains de la famille, se distingue par sa longévité. La promotion constante de la Galerie des contemporains initiée par Félix et leur vaste champ d’activité au-delà de l’atelier de portraits leur permettent de rester dans l’actualité et de bénéficier de l’intérêt croissant pour le médium et son histoire primitive à partir des années 1920. L’histoire se concluant par l’acquisition du fonds complet par l’État français en 1950 après des achats ponctuels en 1897, 1907-1908 et 1943. Le prix, plus élevé pour les négatifs que pour les tirages, témoigne du potentiel d’exploitation du fonds perçu comme important encore à cette période. [...]
Les trois Nadar
L’histoire plurielle d’un pseudonyme
L’histoire et le succès du pseudonyme Nadar correspondent au tempérament flamboyant et écrasant de son créateur, Félix Tournachon. Avant même leur entreprise photographique, la signature Nadar bénéficie d’une importante notoriété et constitue un faire-valoir pour la promotion de cette nouvelle activité. À la fois culte de la personnalité et marque déposée, l’usage du pseudonyme a généré des confusions d’attributions dans leur production photographique. Ce pseudonyme, prêté momentanément à Adrien, est un très lourd héritage pour Paul qui aura du mal à se l’approprier en ajoutant son prénom. Le procès, autant fondateur que destructeur, avec son frère est l’occasion, dans les volubiles plaidoyers produits pour l’occasion, de forger solidement la légende de ses débuts photographiques, le récit originaire de son atelier qui perdurera près de cent ans. Parler des trois Nadar permet de mieux distinguer leurs œuvres respectives.
Tout commence dans les années 1830 avec Félix, celui que Charles Baudelaire appelait « la plus étonnante expression de vitalité ». « Adrien me disait que son frère Félix avait tous les viscères en double. » Les anecdotes abondent sur le tempérament exubérant, incontrôlable de Félix Nadar, sur ses blagues pas toujours drôles.
Ses métiers, ses talents sont multiples : romancier, patron de presse, journaliste, caricaturiste, photographe, chef d’entreprise, homme de science, entrepreneur. Il n’est médiocre en rien et sans doute faut-il croire que c’est comme photographe qu’il a excellé le mieux car c’est dans ce domaine qu’obstinément la postérité l’a retenu. Néanmoins, de son premier livre, La Robe de Déjanire, en 1845, jusqu’au dernier, paru de manière posthume en 1911, Charles Baudelaire intime : le poète vierge, il a publié énormément d’ouvrages et d’articles et s’est toujours et peut-être avant tout considéré comme un homme de lettres. Ses grandes et durables admirations vont aux écrivains dont les portraits – en particulier Honoré de Balzac, Victor Hugo, Alexandre Dumas, George Sand – sont exposés dans les ateliers Nadar et sur les stands d’expositions, en tirages, agrandissements, peintures d’après photographie. [...]
En 1852, avec le Panthéon Nadar, il goûte le plaisir de se lancer un énorme défi personnel qui attire toute l’attention sur lui et le rend célèbre pour toujours. À partir de cette aventure, il tente des entreprises immenses et y entraîne son frère, son épouse, puis son fils sans compter ses amis comme Charles Philipon, Émile et Eugène Pereire, Léon Noël et quelques autres : l’atelier du boulevard des Capucines, le Géant, les photographies souterraines, les ballons de siège, le nouvel atelier rue d’Anjou, l’atelier de Marseille... Sa vie est une succession de prises de risques financiers déraisonnables, parfois incompréhensibles comme s’il avait décidé de se mesurer personnellement à la marche du monde. Trouver de l’argent, réussir « quand même » selon la devise qu’il a adoptée (« tu n’admets pas la non-réussite » lui écrit son frère), diriger son énergie dans un but puis un autre sont les ressorts de son existence presque jusqu’à la fin. Après le Panthéon, cette énergie dévorante se fixe sur la photographie, absolument indissociable de la lutte avec son frère pour garder la première place. L’atelier du boulevard des Capucines, à l’image de Félix, bascule dans une théâtrale démesure :
Ernest Lacan dans Le Moniteur de la photographie du 1er décembre 1876
Il succombe à une folie de surenchère qui voit se concurrencer le luxe des ateliers sur les grands boulevards parisiens avec même des succursales dédiées aux portraits équestres. [...] Jean Sagne analyse comment Félix se lasse, puis se dégoûte de l’atelier de photographie dès le début des années 1860, expliquant ainsi sa passion dévorante pour tout ce qui n’est pas son travail habituel de portraitiste : photographie aérienne brevetée dès 1858, photographie aux lumières artificielles dès 1859, combat pour le plus lourd que l’air dès 1863, etc. Et dès septembre 1861, Félix accepte de transformer en portraits-cartes ses belles épreuves d’artiste des années 1850, ses dessins du Panthéon, les portraits revendus par son frère. Il fait feu de tout bois pour apaiser les créanciers et ne retrouve sa passion photographique que très exceptionnellement : il faut une Sarah Bernhardt débutante, George Sand, Eugène Chevreul ou la mort de Victor Hugo pour le ramener inspiré derrière l’objectif.
S’il évite la faillite, c’est grâce à la vigilance, au soutien indéfectible des Pereire et à la gestion très rigoureuse de son épouse Ernestine Nadar qui s’épuise à tenir à flot les erratiques finances de l’entreprise jusqu’en 1886, année où l’affaire se trouve enfin saine et sans plus de dettes. Adrien écrit à Ernestine Nadar en 1886 afin de lui demander quelles toiles peintes seraient à réaliser pour l’atelier de la rue d’Anjou évoquant « [sa] longue pratique des affaires », « le métier dont [elle est] certainement la tête ». L’année suivante, à tout juste 50 ans, elle subit une attaque cérébrale, l’éloignant à jamais de l’atelier désormais aux mains de Paul. [...]
Adrien, le deuxième Tournachon, un paisible artiste, est le type même du bohème. Mettant ses talents, sa sensibilité au service de la photographie, il fait briller cette discipline avec éclat au début des années 1850.
C’est lui qui insuffle à son frère cet esprit issu des beaux-arts et appliqué à la photographie par Gustave Le Gray dont il fut l’élève. C’est son influence encore qui fait que, rue Saint-Lazare au moins, Félix tâche de concilier, comme Gustave Le Gray ou les Bisson avant lui, des aspirations à la photographie artistique et les exigences financières du commerce.
Paul est le troisième Nadar, « ce troisième de nous » pour reprendre la jolie expression d’Adrien. Enfant unique, choyé, photographié mille fois, il passe dès les années 1870 derrière l’objectif, secondant sa mère dans la gestion de l’entreprise lorsque l’atelier déménage 51 rue d’Anjou en 1871. Malgré son talent indéniable et son investissement dans l’entreprise familiale qui permet d’assurer la pérennité du nom pendant plus d’une cinquantaine d’années, il reste perçu comme la pâle ombre de son père, ne possédant ni son génie intuitif ni sa personnalité. Des trois, c’est pourtant le seul vrai photographe de métier. Son père le défend devant Adrien qui se hasarde à s’en plaindre en 1889 : « Seul pour prolonger bien des fois chaque semaine très avant dans ses nuits le travail de ses jours, le tout afin d’arriver silencieusement, modestement sans une phrase sans une parole à faire son devoir et même plus que son devoir vis-à-vis des siens. Ceci est le fait, le fait que nul de nous ne saurait jamais oublier, dédaigner encore moins. »
Contrairement à son oncle, Paul hérite du nom Nadar et cherche à s’en émanciper. Quand il prend la direction de l’atelier, il ambitionne de le transformer en une entreprise moderne. Le fils peine à légitimer sa position et marquer la direction de cette nouvelle étape de l’histoire de l’entreprise familiale de son propre nom. Lorsque l’ombrageux Félix s’oppose à son fils à propos de leur place respective à l’Exposition universelle de 1889, leur ami A. Périn tente une médiation :
BNF, Manuscrits, NAF 25008, lettre du 23 mars 1889.
Au moment où l’atelier passe concrètement aux mains de son fils au milieu des années 1890, Félix rejoue le conflit qui l’a opposé jadis à Adrien :
BNF, Manuscrits, NAF 25008, f. 69.
Paul, désormais propriétaire de l’atelier parisien, est obligé d’annoncer que « la maison n’a pas de succursale » comme son père l’avait fait précédemment lorsqu’il était en concurrence et en procès avec son frère. Félix cède l’entreprise familiale, mais il jouit toujours de la renommée de son pseudonyme hors de Paris. En 1895, il décide de rouvrir un atelier dans le Midi. « Dès aujourd’hui, mes soixante-quinze ans s’apprêtent à aller recommencer l’œuvre du côté de Nice... Mon nom, qu’on me laisse porter au moins là-bas, y vaut peut-être encore quelque chose... » Ce n’est qu’en 1908 que le père cède officiellement son pseudonyme à son fils.
Tout dans sa lutte avec Adrien pour garder la première place, Félix, après l'aventure du Panthéon et avec la même énergie dévorante, se lance dans la photographie. Il reprend alors de force le pseudonyme Nadar, un temps prêté à son frère.
Cinq lettres qui deviendront vite le symbole du succès mais aussi du tempérament flamboyant et écrasant de leur créateur et, plus tard, un héritage surdimensionné pour Paul, qui peinera à se l'approprier en y ajoutant son prénom.
Cinq lettres qui deviendront vite le symbole du succès mais aussi du tempérament flamboyant et écrasant de leur créateur et, plus tard, un héritage surdimensionné pour Paul, qui peinera à se l'approprier en y ajoutant son prénom.
La concurrence entre frères
Un artiste sensible et prometteur éclipsé par un rival irrésistible
BNF, Manuscrits, NAF 24990, f. 399, lettre d’Adrien à Félix, vers 1886
[...] Quand, au printemps 1854, Félix réalise soudain le succès de son frère aidé par celui, immense, du portrait photographique sur papier, il est pris au dépourvu. Issu du monde frénétique des petits journaux satiriques – il y vit depuis son adolescence, il en a accompagné la croissance –, toujours à la poursuite de la nouveauté et désirant en être acteur, Félix, tout à l’imminence de la parution du fameux Panthéon, n’avait pas prévu que son petit frère, moins entreprenant que lui, soit soudain porté par une semblable vague de réussite. C’est avec empressement qu’il vole donc à son secours, fin août 1854, lorsque ce dernier, comme il l’a toujours fait, l’appelle à l’aide. Il avale à la hâte les rudiments du nouvel art auprès du photographe Camille d’Arnaud, fraîchement échappé de la presse et associé à Auguste Adolphe Bertsch, le spécialiste du collodion.
Alexandre Pothey (1820-1897), d’après un dessin d’Étienne Carjat (1828-1906) « Le seul Nadar, le vrai Nadar, rue St Lazare 113 !!! »
Le Diogène, 30 novembre 1856, n° 17
Gravure sur bois
© BnF, département des Estampes et de la Photographie
Gravure sur bois
© BnF, département des Estampes et de la Photographie
La coopération des deux frères durant cinq mois, d’août 1854 à janvier 1855, est une joyeuse émulation où l’entreprise dite alors « Nadar jeune » associe le sens artistique du cadet à l’énergie, au carnet d’adresses et à la séduction de l’aîné. J’avancerai même que l’art du portrait photographique enseigné au plus jeune par Gustave Le Gray est ainsi transmis directement à l’aîné dont le génie fait immédiatement la synthèse entre ses connaissances antérieures et ce nouvel outil. Quand Adrien, naïvement, demande à son frère en janvier 1855 de le laisser gérer seul l’affaire désormais redressée, ce n’est plus possible car Félix a compris alors que la photographie est une source de revenus et de notoriété bien supérieurs à ses activités précédentes. Il n’est donc pas question qu’il l’abandonne : il faut au contraire qu’il y réussisse avec éclat. Son talent et ses relations le lui permettent.
Le succès énorme d’Adrien à l’Exposition universelle de 1855 avec sa série hautement primée de Pierrots d’après Jean-Gaspard Deburau, sa collaboration avec deux acolytes, le baryton Jules Lefort et l’organiste Louis James Alfred Lefébure-Wely – qui comptaient certainement sur l’association fructueuse entre la vogue des portraits photographiques sur papier et le nom apprécié de Nadar affiché sur une artère à la mode –, la faveur de l’impératrice, enfin, acquise à l’entreprise par l’entremise de Lefébure-Wely, tout cela conduit à la terrible brouille entre les deux frères.[…] Joseph Lorentz, auteur de la belle affiche d’Adrien se désole tout autant et morigène Félix :
Le succès énorme d’Adrien à l’Exposition universelle de 1855 avec sa série hautement primée de Pierrots d’après Jean-Gaspard Deburau, sa collaboration avec deux acolytes, le baryton Jules Lefort et l’organiste Louis James Alfred Lefébure-Wely – qui comptaient certainement sur l’association fructueuse entre la vogue des portraits photographiques sur papier et le nom apprécié de Nadar affiché sur une artère à la mode –, la faveur de l’impératrice, enfin, acquise à l’entreprise par l’entremise de Lefébure-Wely, tout cela conduit à la terrible brouille entre les deux frères.[…] Joseph Lorentz, auteur de la belle affiche d’Adrien se désole tout autant et morigène Félix :
BNF, Manuscrits, NAF 24276, f. 5849, lettre du 23 juin 1860
Après leur brouille et le terrible procès de deux ans qui les oppose en 1856 et 1857 pour l’utilisation du pseudonyme Nadar, l’aîné gagne l’exclusivité de cette utilisation. Adrien poursuit encore quelques années sa carrière de photographe mais cette déconfiture publique le marque à jamais. La bataille pour ce nom qui reprendra, plus terrible encore, entre Félix et Paul Nadar a conduit à une erreur de jugement. Le fait qu’Adrien signait d’un nom qu’on lui refusait désormais des photographies qui étaient bien les siennes – et jamais son frère ne les lui a disputées – a conduit à penser qu’à l’usurpation du nom se joignait l’usurpation des œuvres. Ainsi les œuvres signées de toutes ses signatures successives par Adrien ont-elles été attribuées de bonne foi à Félix ou tout au moins à leur période de quelques mois de collaboration entre fin août 1854 et mi-janvier 1855.
A-t-on pensé seulement qu’il est impossible que ces portraits de modèles baignés de lumière crue, pour la plupart faits en extérieur, n’ont certainement pas pu être tous obtenus en quatre mois d’hiver mais bien plus certainement aussi, pour beaucoup d’entre eux, avant et après ? Ultime et triste preuve : un reçu d’avril 1863 où Adrien accuse réception de 124,96 francs pour « solde du droit que j’ai dans la vente des cartes contemporaines vendues depuis le mois d’octobre 1863 (sic pour 1861) (…) tirées d’après les clichés que je leur ai donnés en dépôt. » Acculé par les traites de son immense atelier du boulevard des Capucines et poussé par ses actionnaires dont son ami Charles Philipon, Nadar transforme à partir de septembre 1861 ses beaux portraits de grand format en portraits carte-de-visite pour vendre plus et plus vite. Faisant feu de tout bois, il rachète les portraits de son frère désormais définitivement écarté de la photographie.
Félix abandonne la photographie en même temps que son frère, vers 1862. Il vit ses « années créatrices », pour reprendre le beau titre de l’exposition du musée d’Orsay, de 1856 à 1860, puis, « génie artiste condamné volontairement aux galères du gagnage d’argent parisien », il ouvre ce dévorant atelier du boulevard des Capucines qu’il délaisse vers 1862 pour se consacrer à la navigation aérienne, à quelques applications de la photographie à la science, laissant la gestion de l’affaire à son épouse, ses employés puis son fils. Il songe en 1861 à s’associer à Louis-Jean Delton pour la photographie équestre, au moment même où son frère s’en fait une éphémère spécialité sur les Champs-Élysées.
A-t-on pensé seulement qu’il est impossible que ces portraits de modèles baignés de lumière crue, pour la plupart faits en extérieur, n’ont certainement pas pu être tous obtenus en quatre mois d’hiver mais bien plus certainement aussi, pour beaucoup d’entre eux, avant et après ? Ultime et triste preuve : un reçu d’avril 1863 où Adrien accuse réception de 124,96 francs pour « solde du droit que j’ai dans la vente des cartes contemporaines vendues depuis le mois d’octobre 1863 (sic pour 1861) (…) tirées d’après les clichés que je leur ai donnés en dépôt. » Acculé par les traites de son immense atelier du boulevard des Capucines et poussé par ses actionnaires dont son ami Charles Philipon, Nadar transforme à partir de septembre 1861 ses beaux portraits de grand format en portraits carte-de-visite pour vendre plus et plus vite. Faisant feu de tout bois, il rachète les portraits de son frère désormais définitivement écarté de la photographie.
Félix abandonne la photographie en même temps que son frère, vers 1862. Il vit ses « années créatrices », pour reprendre le beau titre de l’exposition du musée d’Orsay, de 1856 à 1860, puis, « génie artiste condamné volontairement aux galères du gagnage d’argent parisien », il ouvre ce dévorant atelier du boulevard des Capucines qu’il délaisse vers 1862 pour se consacrer à la navigation aérienne, à quelques applications de la photographie à la science, laissant la gestion de l’affaire à son épouse, ses employés puis son fils. Il songe en 1861 à s’associer à Louis-Jean Delton pour la photographie équestre, au moment même où son frère s’en fait une éphémère spécialité sur les Champs-Élysées.
Les Nadar par les Nadar
Tous les photographes du XIXe siècle ont réalisé des autoportraits. Ces œuvres souvent remarquables s’ouvrent aux innombrables possibilités du genr : l’expérimentation, la mise en scène de soi, le jeu grâce aux photomontages et aux déformations... Les portraits de famille sont plutôt le fait des grands amateurs comme Hippolyte Bayard, Olympe Aguado, Henri L Secq, les Hugo ou, plus tard, Pierre Bonnard et Émile Zola.
Dans ce domaine aussi, les Tournachon-Nadar se distinguent : Félix, Adrien et Paul ont essayé absolument tous les champs de la représentation de soi. Des années 1850 aux années 1930, des portraits d’atelier aux snapshots désinvoltes, tous les possibles, tous les procédés, tous les registres iconographiques, tous les domaines sont abordés. Une telle profusion a requis une section entière de l’exposition.
C’est ainsi que la figure d’Ernestine Nadar apparaît, par le biais du portrait de famille. Pendant plus de trente ans, cette femme discrète et forte a tenu les affaires familiales d’une main de fer et atténué les brouilles entre les frères, entre le père et le fils.
La photographie prend aussi le relais des caricaturiste : la silhouette dégingandée de Félix Nadar, qui faisait leur bonheur, est désormais devant l’objectif et Félix en use et abuse avec délice. Drôle, sérieux, déguisé, pris par lui-même, par son frère ou par son fils, il a parfaitement conscience qu’il est la vivante enseigne de ses ateliers.
En signant deux des plus beaux portraits du siècle ses autoportraits au chapeau de paill –, Adrien a manifesté l’ambition de hisser la photographie au rang des beaux-arts. Quant à Paul, photographié depuis le sein de sa nourrice, il ne quittera le studio qu’à sa mort. Il aura passé sa vie derrière et devant l’objectif et connu tous les procédés du siècle traversé.
Cette galerie de portraits raconte les ambitions de chacun, campe les caractères et les personnage : Adrien en dandy, Ernestine jeune mariée puis femme d’affaires, Félix en esquimau, Ernestine en costume oriental, Paul en chef d’entreprise ou en explorateur. Les grands moments de l’atelier apparaissent en filigrane : Paul enfant avec les ambassadeurs japonais dans le grand studio du boulevard des Capucines, les premiers portraits à la lumière électrique de Félix et Adrien, Félix et Ernestine en ballon au moment de l’aventure du Géant, la période de Sénart où se retirent Félix et Ernestine en 1887, les instantanés de Félix et de Paul, Ernestine, émouvante malade entourée de l’adoration des siens.
Ce registre iconographique qui lie talent, métiers et personnes est le meilleur témoin de l’histoire, des ambitions et des tribulations de la famille Nadar.
Dans ce domaine aussi, les Tournachon-Nadar se distinguent : Félix, Adrien et Paul ont essayé absolument tous les champs de la représentation de soi. Des années 1850 aux années 1930, des portraits d’atelier aux snapshots désinvoltes, tous les possibles, tous les procédés, tous les registres iconographiques, tous les domaines sont abordés. Une telle profusion a requis une section entière de l’exposition.
C’est ainsi que la figure d’Ernestine Nadar apparaît, par le biais du portrait de famille. Pendant plus de trente ans, cette femme discrète et forte a tenu les affaires familiales d’une main de fer et atténué les brouilles entre les frères, entre le père et le fils.
La photographie prend aussi le relais des caricaturiste : la silhouette dégingandée de Félix Nadar, qui faisait leur bonheur, est désormais devant l’objectif et Félix en use et abuse avec délice. Drôle, sérieux, déguisé, pris par lui-même, par son frère ou par son fils, il a parfaitement conscience qu’il est la vivante enseigne de ses ateliers.
En signant deux des plus beaux portraits du siècle ses autoportraits au chapeau de paill –, Adrien a manifesté l’ambition de hisser la photographie au rang des beaux-arts. Quant à Paul, photographié depuis le sein de sa nourrice, il ne quittera le studio qu’à sa mort. Il aura passé sa vie derrière et devant l’objectif et connu tous les procédés du siècle traversé.
Cette galerie de portraits raconte les ambitions de chacun, campe les caractères et les personnage : Adrien en dandy, Ernestine jeune mariée puis femme d’affaires, Félix en esquimau, Ernestine en costume oriental, Paul en chef d’entreprise ou en explorateur. Les grands moments de l’atelier apparaissent en filigrane : Paul enfant avec les ambassadeurs japonais dans le grand studio du boulevard des Capucines, les premiers portraits à la lumière électrique de Félix et Adrien, Félix et Ernestine en ballon au moment de l’aventure du Géant, la période de Sénart où se retirent Félix et Ernestine en 1887, les instantanés de Félix et de Paul, Ernestine, émouvante malade entourée de l’adoration des siens.
Ce registre iconographique qui lie talent, métiers et personnes est le meilleur témoin de l’histoire, des ambitions et des tribulations de la famille Nadar.
Félix Nadar vu par ses contemporains
Nadar le Grand... Nadar c’est l’incarnation des noces de la caricature, des nouvelles technologies du temps et de l’aventure sur fond d’un Paris ouvert à toutes les espérances. Au moment du Géant, un petit journal, L’Âne, trouve ce titre très moderne « La Planète Nadar ». Arsène Houssaye, le directeur de L’Artiste est même hyperbolique :
Arsène Houssaye, Directeur du journal L’Artiste
Il est de toutes les représentations, de toutes les inaugurations, de toutes les solennités profanes où se porte le « tout Paris » qui donne le la au reste du monde. On se le montre quand il passe sur le boulevard ». Félix Tournachon avait tout pour ne pas passer inaperçu : physiquement, ses cheveux roux, sa grande taille, sa silhouette longiligne, ses longues jambes le faisait ressembler à un drôle d’insecte. « C’est un faucheux aux antennes démesurées qui s’en va du boulevard des Italiens à la rue Saint-Lazare avec le dégingandement insolite d’un moulin à vent, par les jours de bourrasque. » écrit Jules Richard dans le Rabelais le 8 juin 1857. « Nadar, c’est le Grand Poucet de Paris » peut conclure Ernest d’Hervilly dans La Lune.
Des années auparavant Alphonse Karr avait été décontenancé par le nouveau collaborateur assez bohème que lui amenait Nerval pour son Journal : « une sorte de géant ; d’immenses jambes, de longs bras, un long torse, et en haut de cela une tête hérissée de cheveux roux, des yeux vifs, intelligents, effarés ». C’est ainsi qu’il se dessine dans Les Binettes contemporaines de son ami Commerson, rédacteur en chef du journal satirique à la mode : Le Tintamarre.
Ses yeux de myope et sa chevelure le signent comme des emblèmes, il est flamboyant comme sa « vareuse écarlate pareille à la pourpre des Dieux » écrit Théodore de Banville. Ce « diable d’homme » ne peut être que rouge, comme son nom sur la façade de son atelier du Boulevard des Capucines. Il est né pour attirer l’attention, il le sait et sait aussi en jouer.
Comme l’arroseur arrosé, le caricaturiste est l’objet de nombreux dessins. Le 15 mai 1852, dans Le Journal pour rire, le dessinateur Bertall le dessine comme un rival en talent qui l’inquiète aussi par ses idées politiques. Le dessin est parmi les premières représentations de Nadar, il est sans chaleur et plutôt caustique : on y lit, des phrases à l’humour au gros sel : « Nadar est très connu pour sa manière supérieure de retourner la salade ». Cela reste l’exception. Ses amis de la bohème le mettent à l’honneur en 1856 dans Le Diogène, le dessinateur et photographe Etienne Carjat le représente assis près d’un appareil photo tandis que l’on peut lire sur le mur de la pièce « Le seul Nadar... Nadar... Le vrai Nadar » allusion au procès qui l’oppose alors à Adrien. Hadol fait de même dans Le Gaulois le 17 mars 1861 : Nadar regarde fixement le lecteur et tient à la main la mèche allumée de toutes ses imaginations : Ne bougeons plus ! Mais il revient surtout à André Gill d’avoir doté Nadar de son double caricatural, il offre la synthèse de ce qui s’est déjà imprimé dans l’imaginaire social. Le 2 juin 1867 il le représente, sous sa signature majuscule, accroché à son ballon. Le portrait d’un vrai « casse-cou » qui a déjà trouvé son personnage dans la fiction sous la plume de Jules Verne dans De la Terre à la Lune. Michel Ardan : ardemment bien sûr. Le seul Français capable de rivaliser avec les membres du Gun-Club pour la décrocher – La Lune bien sûr. Ce n’est plus un simple modèle pour Jules Verne mais une fictionnalisation la plus réaliste qui soit en témoigne les dessins d’Henri de Montaut. En 1878, dans la grande fresque caricaturale et biographique que constitue la série « Les Hommes d’Aujourd’hui », Nadar figure le huitième sur les presque 500 personnalités parisiennes. Gill signe à nouveau : cheveux, regard, sourire, ballon, plume, appareil photographique, rien ne manque à la grammaire caricaturale.
Ses yeux de myope et sa chevelure le signent comme des emblèmes, il est flamboyant comme sa « vareuse écarlate pareille à la pourpre des Dieux » écrit Théodore de Banville. Ce « diable d’homme » ne peut être que rouge, comme son nom sur la façade de son atelier du Boulevard des Capucines. Il est né pour attirer l’attention, il le sait et sait aussi en jouer.
Comme l’arroseur arrosé, le caricaturiste est l’objet de nombreux dessins. Le 15 mai 1852, dans Le Journal pour rire, le dessinateur Bertall le dessine comme un rival en talent qui l’inquiète aussi par ses idées politiques. Le dessin est parmi les premières représentations de Nadar, il est sans chaleur et plutôt caustique : on y lit, des phrases à l’humour au gros sel : « Nadar est très connu pour sa manière supérieure de retourner la salade ». Cela reste l’exception. Ses amis de la bohème le mettent à l’honneur en 1856 dans Le Diogène, le dessinateur et photographe Etienne Carjat le représente assis près d’un appareil photo tandis que l’on peut lire sur le mur de la pièce « Le seul Nadar... Nadar... Le vrai Nadar » allusion au procès qui l’oppose alors à Adrien. Hadol fait de même dans Le Gaulois le 17 mars 1861 : Nadar regarde fixement le lecteur et tient à la main la mèche allumée de toutes ses imaginations : Ne bougeons plus ! Mais il revient surtout à André Gill d’avoir doté Nadar de son double caricatural, il offre la synthèse de ce qui s’est déjà imprimé dans l’imaginaire social. Le 2 juin 1867 il le représente, sous sa signature majuscule, accroché à son ballon. Le portrait d’un vrai « casse-cou » qui a déjà trouvé son personnage dans la fiction sous la plume de Jules Verne dans De la Terre à la Lune. Michel Ardan : ardemment bien sûr. Le seul Français capable de rivaliser avec les membres du Gun-Club pour la décrocher – La Lune bien sûr. Ce n’est plus un simple modèle pour Jules Verne mais une fictionnalisation la plus réaliste qui soit en témoigne les dessins d’Henri de Montaut. En 1878, dans la grande fresque caricaturale et biographique que constitue la série « Les Hommes d’Aujourd’hui », Nadar figure le huitième sur les presque 500 personnalités parisiennes. Gill signe à nouveau : cheveux, regard, sourire, ballon, plume, appareil photographique, rien ne manque à la grammaire caricaturale.
« Nadar », André Gill (1840-1885)
Une de la revue Les Hommes d’aujourd’hui, du 1er novembre 1878
© BnF, département des Estampes et de la Photographie
© BnF, département des Estampes et de la Photographie
Si les Français sont tous des « contemporains de Nadar » pour reprendre le titre d’une de ses séries caricaturales, c’est pour ses qualités, pour son idiosyncrasie comme on l’entend alors. Nadar est un homme qui entreprend et même s’il ne réussit pas tout, il s’installe toujours dans l’épopée et la démesure du siècle.
Cela est dû à des qualités humaines rarement réunies chez un homme qui ne détermine pas ses actions selon les codes et les concessions sociales. Il est drôle, manie la blague, ne renie jamais ses origines, traque les impostures. C’est aussi un « communicant » avant la lettre, mais sans la langue de bois. Il est ouvert aux occasions, dispose d’une intuition rare, ne s’embarrasse jamais des préjugés : il pense hors-barrière et est un homme de passion. C’est ce que notent les écrivains : Le poète Banville : « ... Nadar sur son front aux comètes pareil / Arbore l’incendie. »
Nadar aux milles amitiés : À peine entré dans la vie, « il connaissait déjà tous les mortels, y compris les Lapons et les cafres » (Banville). Philipon, son patron du Journal amusant écrit :
Cela est dû à des qualités humaines rarement réunies chez un homme qui ne détermine pas ses actions selon les codes et les concessions sociales. Il est drôle, manie la blague, ne renie jamais ses origines, traque les impostures. C’est aussi un « communicant » avant la lettre, mais sans la langue de bois. Il est ouvert aux occasions, dispose d’une intuition rare, ne s’embarrasse jamais des préjugés : il pense hors-barrière et est un homme de passion. C’est ce que notent les écrivains : Le poète Banville : « ... Nadar sur son front aux comètes pareil / Arbore l’incendie. »
Nadar aux milles amitiés : À peine entré dans la vie, « il connaissait déjà tous les mortels, y compris les Lapons et les cafres » (Banville). Philipon, son patron du Journal amusant écrit :
Philipon, Directeur du Journal amusant
Il tutoie son monde et les étoiles. Arrive à séduire les plus rebelles, ainsi de Louis Veuillot, journaliste polémique, ultra-catholique, devenu groopie du républicain écarlate.
Reste que c’est Félix Tournachon qui connaît le mieux Nadar et anticipe dans le portrait qu’il fait de lui-même dans Les Mémoires du Géant toutes les critiques possibles :
Reste que c’est Félix Tournachon qui connaît le mieux Nadar et anticipe dans le portrait qu’il fait de lui-même dans Les Mémoires du Géant toutes les critiques possibles :
Nadar, Les Mémoires du Géant
Félix Tournachon est devenu lui-même en devenant Nadar, c’est pour cela que les autres l’ont admiré.