De Thang Long à Hanoï : visions d'une capitale
par Aurélie Champ
Thang Long, élevée par l’empereur Ly Thai To au rang de capitale du Viêt-Nam en 1010, conserva ce statut, non sans quelques interruptions, pendant près de huit siècles. En 1802, l’empereur Gia Long (1762-1820) réunifia le Viêt-Nam, divisé depuis le XVIIe siècle. Il transféra la capitale à Hué, qui occupait une position stratégique au centre du territoire.
Le nom de Thang Long fut changé en Hanoï en 1831. Ce terme dépréciatif fait référence à une commanderie chinoise et non à la situation géographique de la ville « au-delà du fleuve ». Dégradée, l’ancienne cité impériale n'était plus au milieu du XIXe siècle qu'un simple chef lieu de province.
Cependant la situation de la ville sur le fleuve Rouge constituait pour les Français, déjà installés à Saïgon depuis 1859, un point stratégique sur la route de la Chine avec laquelle ils espéraient établir des relations commerciales. Après la déconvenue de la mission d’exploration du Mékong dirigée entre 1866 et 1868 par Ernest Doudart de Lagrée (1823-1868) et Francis Garnier (1839-1873), qui remonta le fleuve sans parvenir à rejoindre la Chine, le fleuve Rouge apparut comme la seule voie fluviale pour y accéder.
La conquête de Hanoï devint un des objectifs prioritaires des autorités françaises. En 1873, un premier assaut lancé par Francis Garnier contre la citadelle, siège du pouvoir administratif et militaire, permit à la France d'obtenir une concession. Toutefois, il fallut attendre presque une décennie et l'arrivée au pouvoir d'hommes politiques dévoués au projet colonial, pour que la France tente un nouvel assaut sur Hanoï. En 1882, la citadelle fut prise une deuxième fois entraînant dans sa chute celle du nord du pays. Cette conquête militaire permit l'établissement du protectorat de la France sur le Tonkin en 1884.
Des photographes dans la ville
Les premières photographies représentant Hanoï nous sont parvenues des missions militaires ou diplomatiques. Elles témoignent de la période de conquête par la France sans jamais représenter de scènes de conflit. Un des pionniers fut le photographe professionnel Emile Gsell (1838-1879). Accompagnateur de la mission d’exploration du Mékong, il séjourna à Hanoï au milieu des années 1870 à la suite du commandant Kergaradec, chargé d’étudier le fleuve Rouge. Emile Gsell a photographié principalement des bâtiments militaires ou des édifices religieux. Les vues de la ville commerçante sont plus rares, au contraire des photographies prises dans les années 1880 par Ernest Millot (1836-1891), assistant de Jean Dupuis, ou par le médecin militaire Charles-Edouard Hocquard (1853-1911), qui représentent largement ce quartier de Hanoï.
Dans la dernière décennie du XIXe siècle, un nombre croissant de photographies ont été prises grâce à l'amélioration des procédés photographiques et à l'intensification de la présence française en Indochine.
Hanoï dans les collections de la Société de géographie
La collection exhaustive donnée par Firmin-André Salles à la Société de géographie atteste de ce changement. Salles vient en Indochine à quatre reprises : en 1882 et 1884, comme commissaire de marine, il assiste aux premières opérations de guerre au Tonkin ; en 1896 et 1898, comme inspecteur des colonies. Cette profession l'amène à sillonner tout le territoire vietnamien dont il photographie aussi bien les habitants que les colons, les traditions locales que les nouvelles entreprises françaises, les paysages ruraux ou urbains.
Une cinquantaine de photographies représentant Hanoï ont été sélectionnées dans le fonds de la Société de géographie avec une majorité d'images empruntées à la collection de Firmin-André Salles. Le regard que ce voyageur a porté sur Hanoï s'est concentré sur la vie quotidienne, les traditions et l'architecture locales, au détriment des symboles du pouvoir colonial, absents de son travail iconographique. Au contraire, les transformations apportées par la présence française apparaissent dans les rares plaques de projection datées du début du XXe siècle. Il faut préciser qu’en 1902, Hanoï retrouve son statut de capitale, mais à la tête d’un empire colonial : l’Indochine française.
Les images ont été regroupées en deux albums correspondant à trois quartiers de la ville :
De la citadelle au lac Hoan Kiem
Vaste quadrilatère fortifié, bâti sur des plans conçus par des officiers français entre 1803 et 1805, la citadelle était occupée par l’administration civile et militaire. Elle marquait la frontière occidentale de la ville jusqu’à son démantèlement par les Français entre 1894 et 1897. Trois sites religieux importants étaient établis aux abords de ce site : le temple de la littérature (
Văn Miếu) et la pagode au pilier unique au sud (
Chùa Một Cột), le temple Quan Thanh (Đền
Quán Thánh) au nord.
Le quartier situé à l'est et au sud du lac Hoan Kiem (
Hồ Hoàn Kiếm) a subi d'importantes transformations suite à l'installation à partir de 1874 de la première concession française en bordure du fleuve Rouge. Une fois le protectorat sur le Tonkin établi en 1882, cette partie de la ville de Hanoï est modelée comme une ville occidentale, répondant notamment aux critères urbanistiques définis par le baron Haussmann. De grands axes sont dégagés entraînant la destruction de temples et d'habitations faisant place à de nouveaux bâtiments de style architectural français.
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La ville marchande
Située entre la citadelle et le fleuve Rouge, au nord du lac Hoan Kiem (
Hồ Hoàn Kiếm), la ville commerçante de Hanoï constituait au XIX
e siècle le cœur de la ville vietnamienne. Les commerçants venus des villages alentours pour vendre leurs marchandises se regroupaient selon leur corporation artisanale. Chaque rue portait un nom d'activité ou de marchandise : rue de la Soie, rue des Tasses, rue des Tailleurs ou encore rue des Changeurs.
Une réglementation stricte a déterminé la physionomie de ce quartier. En effet, la largeur des bâtiments ne devait pas dépasser trois mètres, ce qui favorisa la construction de maisons à façade étroite et se développant tout en longueur (certaines pouvant atteindre 120m). Un réseau de rues et de ruelles étroites permettaient de circuler dans ces quartiers denses.
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