La
naissance du pays
Dieu, disaient-ils, a été de toute
éternité ; le ciel et la Terre ne sont pas si anciens. Aussitôt que lUnivers
fut créé, la Terre qui est un corps animé, étant charmée de la beauté éclatante du
Soleil, en devint éperdument amoureuse. Elle fit diverses tentatives pour sélever
jusquà lui, mais ses élans furent inutiles : la pesanteur de sa masse faisait
obstacle à ses élancements, elle ne pouvait sélever que jusquà une fort
petite distance. Le Soleil saperçût de ses secousses et de ses prodigieux
trémoussements, il eut pitié delle, et sétant couvert de nuages
extrêmement épais, de peur de la mettre plus en feu et de la consumer tout à fait, il
sapprocha delle, la pénétra de ses rayons jusquau fond de ses
entrailles, et se retira sur le champ. La Terre en conçût dabord : trois cent
soixante-cinq jours et un quart après, son ventre souvrit, et elle accoucha
dun homme et dune femme, lun et lautre dune beauté et
dune majesté surprenantes. Ces deux charmantes personnes sétant avancées du
côté de la campagne où ils avaient trouvé une multitude innombrable de toutes sortes
darbres chargés dexcellents fruits, ils eurent la curiosité de parcourir
tout le terroir quils trouvèrent accessible. Enfin, étant parvenus jusquaux
extrémités australes de ce vaste pays, ils le trouvèrent borné par des montagnes
impraticables. Ce fut là que Mol et Mola sa Femme, car cest ainsi que
lon dit quils se nommaient, eurent quelque contention, elle voulant tirer à
droite, ou retourner sur ses pas, et lui au contraire, étant dopinion quil
fallait faire un effort pour passer outre, de sorte que sétant mis en colère,
parce quil se voyait obligé de rompre son dessein, à cause de lopiniâtreté
de sa femme, il frappa de dépit si rudement du pied contre le rocher quil sy
fit une ouverture par laquelle leau sortit en abondance et forma une rivière, qui
salla précipiter dans le creux, dont les deux jumeaux étaient sortis : ce qui
refroidit tellement la matrice de la Terre, que depuis ce temps-là elle na plus eu
aucune envie de se joindre à son amant le Soleil, et ainsi na jamais eu
dautres enfants.
Ils ajoutaient à ce beau conte, que cétait de ces deux personnes quétaient
descendus les habitants de leur pays, quils croyaient être le seul endroit du monde
qui fut habité. Aussitôt que le Portugais fut arrivé, et quil eut fait le récit
de ses aventures, on connut bien quon nétait pas là le seul peuple de
lUnivers, et que le prétendu enfantement de la Terre, nétait quune
fable, doù sensuivirent les révolutions dont je viens de faire mention.
Depuis ce temps-là, les rois et leurs sujets avaient vécu avec beaucoup de tranquillité
et dharmonie : ils se louaient extrêmement les uns des autres. En effet,
jai toujours vu que le peuple avait infiniment du respect pour leur Souverain, et
que réciproquement le Roi dà présent témoignait de lempressement à donner
des marques de sa tendresse à tous ceux qui approchaient de sa personne. Il était civil
en général à tout le monde, et pour nous en particulier, il est sûr que cela passait
les bornes.
Tyssot de Patot
(Simon), Voyages et avantures de Jaques Massé
1710. La Haye : Ed. de Bourdeaux : J. LAveugle, 1710 : "La
naissance du pays", p. 213/215. |