Le Monde en Sphères

Le triomphe
du globe

Aux XVe et XVIe siècles, le globe terrestre s’affirme comme modèle réduit de la Terre. Les grands voyages de découvertes et l’exploration des nouveaux mondes confirment la sphéricité de la Terre et en précisent la géographie. L’art du géographe, joint à celui de l’astronome, est à la base de la cosmographie. Le triomphe du modèle sphérique en Europe s’incarne sous la forme de la paire de globes – terrestre et céleste – produite en série grâce à la gravure et largement diffusée dans la société. Le globe prend un symbole polysémique de puissance, de la connaissance et de la vanité du monde.

Vidéo
Le triomphe du globe, entretien avec François Nawrocki, commissaire de l’exposition, Directeur adjoint de la Bibliothèque Sainte-Geneviève

À la Renaissance, les navigateurs européens explorent le monde et en précisent peu à peu les contours. La forme sphérique de la Terre se trouve vérifiée empiriquement et le « globe artificiel » de notre planète devient le vecteur de diffusion de cette nouvelle image du « globe terraqué », un ornement de prestige et un instrument didactique au service des écoles. La passion de l’Europe moderne pour les globes devient peu à peu universelle.

Le globe terrestre, témoin des grandes découvertes

Vidéo
Globe de Behaim

La période de la Renaissance européenne et de l’exploration des nouveaux mondes confirme la sphéricité de la Terre et précise sa géographie. Le globe, navigable de part en part depuis le tour du monde de Magellan, n’est plus un objet de spéculation et les globes terrestres commencent à être réalisés, de plus en plus nombreux, de manière dissociée ou conjointe aux globes célestes. Le globe est à la fois un outil au service des explorateurs et des navigateurs et un moyen de restitution des nouvelles découvertes qui font éclater les limites de l’oekoumène antique.

Le globe représente un état parfait, sans déformation, de la somme des savoirs géographiques anciens et des nouvelles découvertes. On voit ainsi, sur un globe manuscrit dit « Globe vert » de 1506, les débuts de la représentation de l’Amérique sous forme d’un continent nommé « America », encore absent du grand globe de Martin Behaim en 1492. De même, le voyage autour du monde de Fernand de Magellan (1519-1522) est retracé sur le « Globe doré » (vers 1535) et sur le planisphère nautique de Battista Agnese (1543).

Planisphère de Battista Agnese
Atlas Miller

Après un premier partage des nouveaux mondes entre le Portugal et l’Espagne, la France et l’Angleterre envoient à leur tour leurs vaisseaux vers les Amériques, enjeu de rivalité économique et politique entre les grandes puissances. Le grand planisphère (1544) du navigateur Sébastien Cabot, au service du roi Henri VIII d’Angleterre puis de l’empereur germanique et roi d’Espagne Charles Quint, représente parfaitement cette situation également illustrée par des globes d’apparat tels que le « globe de Rouen ».

Mappemonde de Sébastien Cabot
« Globe de Rouen »
Globe de Schniepp

Le savoir du cosmographe

L’art du géographe, joint à celui de l’astronome, est à la base de la cosmographie, discipline reine au XVIe siècle dans l’ordre des savoirs. Les cosmographes tels que Gemma Frisius, Peter Apian ou Gérard Mercator sont des humanistes, experts en mathématique, astronomie et géographie, ainsi qu’en philosophie et en histoire naturelle.

Ptolémée et les principes d'astronomie
Livre de cosmographie
Frontispice représentant le cosmographe Fra Mauro
Frontispice de la Géographie de Ptolémée

Ils interprètent et relient les phénomènes observés dans le ciel et sur la Terre. Sans s’affranchir de l’héritage ptoléméen, ils apportent de nouvelles méthodes, innovent dans la réalisation de modèles du monde toujours plus sophistiqués, parfois mécaniques comme la sphère de Johann Reinhold (1588).

Portraits de Mercator et Hondius
Astronomicum Caesareum d’Apian : volvelle des révolutions draconitiques de la Lune
Globe mécanique

Fabrique et usages des globes
en Europe

De nombreuses paires de globes imprimées ont été réalisées entre 1600 et 1700. La plupart proviennent d’Amsterdam et sont représentatives de l’âge d’or hollandais de la première moitié du XVIIe siècle. Le procédé de fabrication des globes à partir de fuseaux imprimés sur papier a été inventé au XVIe siècle, permettant de produire des paires de globes terrestres et célestes de mêmes dimensions.

Tout en demeurant artisanal, ce procédé de reproduction a permis la réalisation de paires d’une gamme de tailles et de prix variés. Les globes commencent à se diffuser largement en Europe, parallèlement aux volumineux atlas que vendent les cartographes et commerçants successeurs d’Abraham Ortelius et de Gérard Mercator. Fréquemment représentés dans la peinture de genre hollandaise, ils servent tant à l’enseignement qu’à la navigation, à l’ornementation des intérieurs et à la mise en scène de l’intérêt de leurs possesseurs pour le monde et la science.

Paire de globes en 8,5 cm (fuseaux)
Construction mécanique des globes
Six fuseaux de globe céleste gravés sur cuivre, rognés à 70° de latitude, avec deux calottes polaires
Douze demi-fuseaux de globe terrestre gravés sur cuivre, coupés à l’équateur et rognés à 70° de latitude
Globe terrestre
Globe céleste

Les fabricants de globes d’Amsterdam

Une industrie et un commerce des globes imprimés, culminant avec les fabricants hollandais dans la première moitié du XVIIe siècle, propagent et démocratisent ces supports d’information. Trois dynasties de fabricants de globes rivalisent à Amsterdam : les Van Langren, les Hondius et les Blaeu qui, attentifs à faire figurer sur leurs globes les plus récentes découvertes géographiques et astronomiques, se copient mutuellement jusque dans le style.

Vidéo
Les globes céleste et terrestre de Hondius

Le modèle de la paire de globes, terrestre et céleste, s’impose partout en Europe et les globes se déclinent en gammes d’objets de plusieurs formats. Ces ensembles d’éditeurs deviennent le modèle canonique de représentation du monde.

Globe terrestre

L’exportation du modèle sphérique en Extrême-Orient

Si les voyages et les échanges élargissent les horizons et enrichissent les représentations des Européens, ils leur permettent également d’exporter leur savoir et leur vision sphérique du monde vers les autres continents, en particulier l’Asie, de la Turquie au Japon.

Sphère armillaire japonaise
Observatoire impérial de Pékin
Mappemonde chinoise de Verbiest

Les missionnaires jésuites européens venus en Chine aux XVIe et XVIIe siècles jouent un rôle essentiel dans les échanges scientifiques entre l’Orient et l’Occident. Leur savoir en astrologie, cosmologie, géographie se diffuse en Chine et dans les pays voisins comme la Corée et le Japon.

La tapisserie Les Astronomes

La symbolique du globe : pouvoir, savoir et vanité

Objet chargé d’une somme de connaissances sans cesse complétée et actualisée, le globe, qu’il soit terrestre ou céleste, devient un objet familier dont la représentation dans les arts se déploie dans une grande variété de formes et de sens symboliques : pouvoir, savoir, vanité du monde et des œuvres humaines, le globe recouvre désormais un vaste champ sémantique. Il en va de même pour les sphères armillaires, objets plus rares, parfois joyaux de mécanique, qui restituent l’agencement des principales sphères dont celle de la Terre et celle des étoiles fixes dans la grande mécanique céleste et cosmologique.

Vidéo
La symbolique du globe

À la fin du XVIIe siècle, la démesure des grands globes de Coronelli offerts au roi Louis XIV incarne à la fois le triomphe et les limites d’un modèle encyclopédique cumulatif qui ne cesse de s’enrichir d’informations et de symboles souvent déjà dépassés par les progrès de la science à l’aube des Lumières.

Les Globes de Coronelli

Ces globes, réalisés en 1683 par le cosmographe vénitien Vincenzo Coronelli, ont été offerts à Louis XIV par le cardinal d’Estrées. Ils offrent une représentation synthétique de la Terre et du ciel. Ce sont des objets de science et des emblèmes du pouvoir, exceptionnels par leur dimension (plus de 2,3 tonnes pour 4m de diamètre), qui étaient à l’origine destinés au château de Versailles et sont aujourd’hui visibles dans le Hall Ouest de la BnF.

Vidéo
Les Globes de Coronelli

Le globe terrestre est fascinant par la richesse d’information et la diversité de scènes marines et terrestres, tantôt fabuleuses, tantôt exotiques, tantôt techniques. Le globe céleste, qui représente la position des planètes le jour de la naissance de Louis XIV, le 5 septembre 1638, comprend près de deux mille étoiles regroupées en soixante-dix constellations ainsi que plusieurs novae observées depuis 1572 et une dizaine de comètes.

Le globe terrestre - Découvrez l'album illustré
Le globe céleste - Découvrez l'album illustré

Le globe, symbole de puissance

Dans la continuité de l’Antiquité et du Moyen Âge, l’orbe reste un symbole du pouvoir souverain : des empereurs, son usage s’étend à de nombreux monarques, en Espagne, en Angleterre ou en France.

Louis XIV, médaille de l’assiduité du roi en ses conseils (revers)
Portrait de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), ministre

Adopté par de nombreux rois chrétiens, le globe crucifère ne fera jamais partie, en France, des insignes du pouvoir royal. Cependant, l’iconographie de cour emprunte largement à la symbolique de la sphère pour célébrer la puissance des rois de France, tels Henri IV chevauchant le globe ou Louis XIV figuré en Apollon. Des ministres s’emparent aussi du globe comme signe de puissance, mais aussi du poids de leur charge. Ainsi Colbert est peint avec une pendule ornée d’un Atlas portant la sphère du monde.

Le globe, symbole de la connaissance

Modèles du ciel, de la terre ou du cosmos tout entier, les sphères deviennent aussi synonymes de la connaissance et sont associées aux hommes, aux lieux et aux œuvres qui célèbrent ou protègent les arts et les sciences. Modèle réduit de l’univers, le globe incarne l’aspiration à la connaissance universelle. Présent dans les cabinets de curiosités, les bibliothèques et les allégories des arts, il s’impose dans les portraits comme l’attribut de l’astronome, du géographe ou de tous ceux qui se dédient aux arts et aux sciences.

L’Astronome, dit aussi L’Astrologue
L'Académie des sciences et des beaux-arts, dédiée au Roy par S. Leclerc

Le globe, symbole de la vanité du monde

L’image positive de la sphère s’assombrit au XVIe siècle suite à l’éclatement de la Chrétienté occidentale et aux guerres de Religion. La distinction d’Aristote entre monde « supra-lunaire » (au-delà de la Lune), parfait et immuable, et monde « sub-lunaire » voué à l’impermanence, trouve un écho puissant en Europe du Nord. Memento mori, images du « monde retourné », livres d’emblèmes et peintures de vanités invitent le sage à prendre ses distances vis-à-vis des richesses, des illusions du pouvoir et des prétentions du savoir.

Le Monde à l’envers
Humana Fumus, dans Les Emblèmes (n° 73)
Représentation du monde dans une tête de fou