Le Monde en Sphères

Métamorphoses des sphères

Au XIXe siècle, les globes se métamorphosent et, grâce à l’évolution des techniques, ils prennent toutes les dimensions, des plus petites aux plus extravagantes. Dès le début du XXe siècle, des artistes détournent et réinterprètent la forme sphérique devenue tellement familière, alors même que l’on sait que la Terre n’est pas tout à fait ronde et qu’elle n’est qu’un astre parmi des milliards d’autres.

Vidéo
Métamorphoses des sphères, entretien avec François Nawrocki, commissaire de l’exposition

Objet familier, éducatif et universel

Au XIXe siècle, les globes se métamorphosent, revêtent de nouvelles formes, prennent des sens plus nombreux. Ils se déclinent dans toutes les dimensions, des minuscules globes de poche aux titanesques géoramas que l’on visite de l’intérieur. Les matériaux, les techniques et les formes changent : l’impression lithographique polychrome permet la fabrication de globes à moindre coût et facilite la diffusion de ces objets. Les globes se démocratisent et prennent une place de choix dans les écoles. Le contenu cartographique évolue : le globe terrestre se thématise, permet parfois des lectures croisées des phénomènes politiques, économiques, géologiques, anthropologiques. Les globes en relief, gonflables, en puzzle, et bientôt éclairés, sont de nouvelles formes ludiques et familières.

La Leçon de géographie
Globe en puzzle de seize pièces, bois, avec coffret bois
Globe métrique, fuseaux lithographiés
Publicité pour le globe parapluie de Betts
Le Géorama des Champs-Élysées

Désormais, l’image de la Terre ronde est connue de tous. Plus que jamais, le globe est symbole d’universalité : dans la publicité, il incarne les ambitions mondiales des produits de consommation, alimentaires, cosmétiques et vestimentaires, et surtout industriels, comme les automobiles dans les années 1910-1920 : ainsi, une célèbre affiche de Léonetto Cappiello montre la 15 chevaux Bellanger traversant le monde au son des trompettes de la Renommée.

Le Cacao Poulain inonde le monde
La 15HP Bellanger

Le globe est par excellence l’emblème des expositions universelles : ainsi a été construit pour l’exposition de 1900 à Paris, un gigantesque et éphémère cosmorama céleste au pied de la tour Eiffel.

Exposition universelle de 1900 : la tour Eiffel et le Globe céleste
Affiche du grand globe céleste

L’astronomie populaire

Dans le même temps, avec le développement de l’astronomie populaire et du roman d’anticipation, l’homme se prend à rêver de conquérir l’espace et d’observer un jour un lever de Terre depuis le sol lunaire. Le globe céleste, désormais impropre à présenter un état complet des connaissances, est sur le déclin, et les constellations figuratives héritées de l’Antiquité et du Moyen Âge s’estompent jusqu’à disparaître, sauf à garder une vocation décorative ou pédagogique. Le planétaire, qui remplace la sphère armillaire comme modèle de notre système solaire, intègre les nouveaux astres que sont Uranus (1781), la ceinture d’astéroïdes (vers 1850) et Neptune (1846) puis Pluton (1930). Outre la Lune dont on rêve de fouler le sol (Jules Verne, De la Terre à la Lune, 1865 puis Autour de la Lune, 1869), c’est Mars, planète voisine réputée la plus conforme à la Terre par son aspect et ses dimensions, qui déchaîne l’imagination : on croit y discerner toute un réseau de titanesques canaux construits par une race extraterrestre, au sujet de laquelle les savants comme Camille Flammarion formulent d’audacieuses hypothèses qui font bientôt les délices des auteurs de « science-fiction ».

M. Flammarion devant le globe de la planète Mars
Globe céleste
Globe de la lune

Visions d'artistes

Longtemps, la Terre imaginée et représentée depuis l’espace et en particulier depuis la Lune, a fait rêver scientifiques et artistes (Jules Verne, Georges Méliès), jusqu’à la vision désormais familière, mais à l’époque saisissante, du lever de Terre photographié par William Anders depuis le vaisseau Apollo 8 en orbite lunaire (1968).

Vidéo
Extrait du film de Méliès
Les trains de projectiles pour la Lune
Le Voyage dans la Lune
Earthrise

L’image de la planète bleue photographiée depuis l’espace est devenue à la fois banale et éminemment symbolique de la beauté et de la fragilité du monde. Cette nouvelle perception de la Terre inspire aux artistes détournements de formes et réinterprétations militantes, sur fond d’enjeux géopolitiques et écologiques majeurs pour la survie de l’humanité (Yves Klein, Alain Jacquet, Thomas Hirschhorn, Mona Hatoum, Batoul S’Himi).

Reflexion of a Golden Egg
Outgrowth

Dans l’univers infini

En notre XXIe siècle, la forme réelle de la Terre, transposée et exagérée dans toutes ses imperfections à travers un modèle nommé géoïde, nous est désormais connue avec précision grâce aux données des satellites artificiels géostationnaires.

Vidéo
Le géoïde, entretien avec Denis Savoie, astronome et historien des sciences
Satellite Lageos
Géoïde, modèle d’interprétation des données de l’EAS

Dans l’Univers infini, les étoiles ne peuvent plus être dénombrées, l’espace-temps évolue entre principes d’attraction et d’expansion, et la forme du cosmos devient impossible à représenter, sauf à risquer de vertigineuses cartographies interprétatives. Ainsi, en 2014, la revue Nature publie en couverture une représentation spectaculaire de Laniakea, superamas de galaxies dont fait partie la Voie lactée et donc notre système solaire. À cette échelle, la Terre est un objet de plus en plus microscopique et éphémère perdu aux confins de l’univers. Nous sommes bien loin du centre du monde imaginé par les Anciens.

Superamas Laniakea