Le Monde en Sphères

L’invention de la sphère

Héritiers de l’astronomie mésopotamienne et égyptienne, les savants et philosophes des cités grecques (Thalès, Anaximandre, Pythagore, Platon, Aristote, etc.) ont imaginé, à partir du VIe siècle avant J-C., une terre sphérique au centre d’un cosmos lui-même sphérique. Autour de la terre se mouvait une série de sphères portant les sept « planètes » (Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter et Saturne) et le monde était clos par la sphère des « étoile fixes ». Ces conceptions sont basées sur des observations pratiques et des considérations philosophiques.

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L’invention de la sphère, entretien avec Denis Savoie, Astronome et historien des sciences

Longtemps, la façon d’imaginer l’univers a varié en fonction des civilisations. Dans l’Antiquité, de nombreux modèles du monde ont émergé, fondés bien souvent sur des mythes de création du monde, imaginé comme le séjour des hommes et des dieux, offrant mille parcours aux âmes des mortels.

En Égypte, à Babylone, en Perse, en Inde ou en Chine, les formes imaginées de la Terre sont diverses : souvent plate, elle est rectangulaire, carrée, ronde ou formée d’un chapelet d’îles ; flottante sur les eaux primordiales, la Terre est souvent coiffée d’un ciel en forme de bol ou placée au centre d’un édifice cosmique en forme d’œuf.

De même, dans la Grèce archaïque, Hésiode, Homère et les travaux d’Hercule décrivent une Terre plate, circulaire, ceinte d’un océan et surmontée d’un ciel d’airain hémisphérique, qui est le séjour de Zeus, le roi des dieux.

Allégorie égyptienne du monde
Le bouclier d’Achille

Entre sciences & philosophie

Portrait de Pythagore
Mosaïque des philosophes
Muse Uranie avec globe
Les nombres gouvernent le monde
PYTHAGORE, VIE SIÈCLE AV. J.-C

C’est au VIe siècle avant notre ère qu’apparaît, dans les cités ioniennes et les cercles pythagoriciens, une nouvelle conception du monde dépouillée des récits mythologiques. Celle-ci est fondée autant sur l’observation des mouvements cycliques du ciel – course apparente du Soleil et de la Lune, lever et coucher des étoiles, mouvement des planètes, éclipses lunaires ou solaires, etc. – que sur une intuition mathématique. Analysant les propriétés géométriques de la sphère, potentiellement animée d’un mouvement circulaire immuable, Pythagore au VIe siècle av. J.-C., Platon, Aristote et leurs disciples au IVe siècle, font de la sphère la forme la plus convenable d’un cosmos qu’on imagine créé tout en proportions et harmonie par un géomètre ou un grand architecte : le Démiurge.

En dépit de systèmes alternatifs, en tout ou partie héliocentriques, comme ceux d’Héraclide du Pont (IVe siècle av. J.-C.) ou d’Aristarque de Samos (IIe siècle av. J.-C.), les grands principes du modèle sphérique antique sont posés par Platon et Aristote : une Terre ronde et immobile au centre d’un Cosmos, formé de sphères concentriques portant les étoiles et les planètes et animées d’un mouvement circulaire uniforme. C’est le modèle dominant jusqu’à la révolution scientifique initiée par l’astronome Nicolas Copernic au XVIe siècle.

Des objets concrets – globes célestes ou terrestres, sphères armillaires ou planétaires, machines cosmographiques – ont permis de matérialiser ces théories scientifiques dès le IIIe siècle av. J.-C., servant d’instrument d’observation, de calcul ou de démonstration. Très peu d’entre eux subsistent cependant.

La plus ancienne sphère céleste
Atlas dit « Farnèse » portant la sphère céleste
Planisphère céleste de Bianchini
C’est pourquoi le dieu a tourné le monde en forme de sphère, dont les extrémités sont partout à égale distance du centre, cette forme circulaire étant la plus parfaite de toutes et la plus semblable à elle-même. 
Platon, Timée, Ve siècle av. J.-C.
Il est prouvé que non seulement la terre est ronde, mais même qu'elle n'est pas très grande.
Aristote, Traité du ciel, IVe siècle av. J.-C.

Avant d’être une expérience concrète universellement partagée, le modèle sphérique procède d’une construction intellectuelle basée tant sur des faits d’observations que sur des considérations philosophiques. Ce modèle est le support de spéculations philosophiques et métaphysiques : la terre, comme l’univers, ne pouvait qu’être rond car la sphère est une forme parfaite, tout point de sa surface étant à même distance du centre.
Ainsi Platon et Aristote ont-ils défini les grands dogmes du modèle sphérique : une Terre ronde et immobile au centre, et le mouvement circulaire uniforme des astres. Eudoxe de Cnide a, le premier, conçu un modèle mathématique à 27 sphères traduisant la course de l’ensemble des corps célestes. Leurs travaux nous ont été transmis par des poètes tel Aratos de Soles et des savants plus tardifs (Strabon, Ptolémée, Macrobe).
Aucun texte original de l’Antiquité n’a été conservé. Nous connaissons les œuvres des savants antiques grâce à des copies des Moyen Âge.

Atlas soutenant le globe céleste
Du ciel d'Aristote
Mappemonde en zones

Les trois sommes de Ptolémée

Le ciel est sphérique et se meut à la manière d’une sphère 
Ptolémée, Almageste, I, 2

La conception grecque d’un monde clos composé de sphères concentriques portant les « étoiles fixes » et les « sept astres errants » en rotation uniforme autour de la Terre, elle-même au centre, sphérique et immobile, fut perfectionnée et rassemblée au IIe siècle de notre ère par Claude Ptolémée, savant grec d’Alexandrie, en trois sommes connues sous les noms d’Almageste, de Géographie et de Tétrabible, synthèses magistrales des connaissances gréco-romaines.

Claude Ptolémée, astronome et géographe
Position de l’œkoumène sur le globe terrestre

L’Almageste présente la mécanique céleste, donne un catalogue de quelque 1000 étoiles regroupées en 48 constellations et explique comment construire un globe céleste ; la Géographie décrit l’oekoumène, la partie habitée de la Terre, et présente les moyens de fabriquer un globe terrestre ou de dresser des cartes selon diverses projections de la sphère sur une surface plane. Le Tétrabible est un traité d’astrologie dans lequel Ptolémée analyse les influences supposées des astres sur les destinées humaines. Transmise successivement aux Byzantins, aux Arabes et à l’Occident latin, son œuvre constitue pendant près de 1 500 ans la référence principale des savants.

Syntaxe mathématique (dite Almageste)
Syntaxe mathématique (dite Almageste)
Tables des étoiles fixes
Trétabible de Ptolémée

La sphère des césars et des empereurs

La présence récurrente des sphères dans les arts de l’Antiquité témoigne du prestige et de la diffusion de ce savoir en dehors des cercles savants, mais aussi de l’influence prêtée aux astres sur les destinées des peuples et des princes. Présente dans la statuaire, les fresques et les mosaïques, les monnaies et camées, voire dans la littérature, avec le Songe de Scipion de Cicéron (54 av. notre ère), la sphère devient un lieu commun teinté de diverses significations.

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Dès 75 av. J.-C., le globe fait irruption sur les monnaies romaines. Il s’impose avec Auguste comme un attribut essentiel du pouvoir impérial, de son ambition universelle, voire cosmique. Deux représentations sont prépondérantes : l’Empereur tenant en main le globe – et donc le monde – et l’Empereur associé à la Victoire qui, juchée sur un globe, légitime son pouvoir. La sphère peut être accompagnée d’autres emblèmes qui en nuancent le sens : la lance, symbole de l’action militaire, ou le phénix, oiseau solaire sans cesse renaissant, symbole d’éternité.

 

Le globe tout entier dans la main de l’empereur
Victoire triomphante juchée sur la sphère du monde
Globe et lance, symboles de souveraineté et d’action militaire

Des motifs similaires à ceux des monnaies romaines sont déclinés dans la glyptique (l’art de graver sur pierres fines). Le camée Triomphe de Licinius (IVe siècle) donne une dimension cosmique à la victoire de l’Empereur en l’associant aux dieux Sol et Luna, couple d’astres visibles jour après jour suggérant l’éternité de Rome et l’aspiration des Empereurs à la divinité.

Avec l’expansion du christianisme, le globe s’orne d’une croix, symbolisant l’essence céleste du pouvoir sur le monde.

Statuette équestre "Charlemagne"

Sans être le fruit d’une expérience concrète du monde, mais plutôt d’une construction abstraite fondée sur des observations judicieusement interprétées, la représentation de l’univers sous une forme sphérique fut dès l’Antiquité gréco-romaine un savoir reconnu et partagé sur toutes les rives de la Méditerranée, un modèle incarné dans des globes et sphères offrant un support matériel aux connaissances accumulées, mais aussi aux spéculations philosophiques ou métaphysiques. Ce savoir antique va être hérité et réinterprété à l’époque médiévale dans deux aires de civilisation distinctes, néanmoins connectées : le monde Arabo-musulman et l’Occident chrétien, marqués tous deux par le primat de l’astronomie sur la géographie.