Les photographes indépendants
Comme l'indique Ronis, "la reprise de l’activité après
la Libération fut assez fascinante. Le public avait une folle
soif d’images et, pendant quelques années, la photographie
pour la page imprimée connut une période de grande fertilité.
Les choses n’étaient pas simples car on manquait de tout."
Chaque photographe, à travers des commandes va constituer ce
qui dans les années 1980 apparaîtra alors comme une œuvre
redécouverte ou célébrée dans des monographies
et des expositions. Si la sortie de la guerre avec sa floraison de titres
favorise le retour à la photographie de Ronis, la situation de
ses confrères n’est pas toujours idyllique.
En dehors de ceux qui tiennent boutique, presque tous les photographes
travaillent pour la presse. Ils appartiennent à des agences ou
à des studios comme Chevojon, Harcourt, Sam Lévin, ou
Lipnitzki. Beaucoup travaillent en indépendants. Tous répondent
à des commandes. "Le travail sur commande, qui passe pour
une activité honteuse, permet la survie matérielle. (…)
Il demande une dépense d’énergie, d’invention
et, pour ne céder ni à la résignation ni à
l’appât du gain, il faut être attentif à éviter
les pièges de la spécialisation et garder toujours un
regard oblique qui engage à voler, quand les occasions se présentent,
un peu de temps payé par les différents employeurs. Ainsi
le modeste praticien, jouant en cachette au dilettante, sera gratifié
d’une réputation de flâneur." Doisneau, avec
sa verve si particulière, résume parfaitement la condition
des photographes illustrateurs. C’est dans cet esprit que Ronis,
en dehors de ses commandes, réalise son Belleville-Ménilmontant.
Le statut de photographe demeure précaire particulièrement
dans les années 1945-1950 où les photographes manquent
de films, de lampes… et doivent assurer un travail de laboratoire.
Presque tous les photographes travaillent pour la mode, avec un intérêt
et des bonheurs divers, la faisant sortir du studio pour aller dans
la rue. Ils y recréent des scènes avec les référents
thématiques et géographiques de leur univers : petits
métiers, rue d’un quartier populaire.
Magnum et Rapho qui possèdent des bureaux new-yorkais
initient des commandes bien plus lucratives avec des éditions
et des magazines étrangers. Ronis en fait l’amère
expérience lorsque, « dans une atmosphère empoisonnée
par "la Guerre froide", les photographies n’étaient
plus qu’une matière première ravalée au service
d’une stratégie orientée dans un sens bien précis ».
Les scories d’une iconographie humaniste un peu mièvre
ne sauraient effacer l’âpreté des tensions qu’induisent
la Guerre froide et les guerres coloniales et minorer les enjeux idéologiques
qui traversent la photographie.