La publicité
Presque tous les photographes illustrateurs travaillent pour la publicité,
bien plus rémunératrice que la presse à une époque
où elle demeure encore artisanale. Lorelle en fait l’une
de ses spécialités et publie La Photographie publicitaire.
Il analyse comment il exploite des thèmes, des situations, des
personnages emblématiques : les joueurs de boules, la concierge,
le facteur, le curé. À propos de pêcheurs au bord
de la Seine, pour reconstruire le vraisemblable, il confie que "le
laisser-aller du personnage de droite fut longuement étudié
avec l’acteur professionnel qui le joua". Pour une affiche
commandée par la Croix-Rouge, les remarques du commanditaire
obligent l’opérateur à scénariser et accentuer
la misère, celle-là même qu’il dénonce
dans ses reportages.
Les campagnes publicitaires sont déclinées sous forme
d’affiches et de dépliants, mais c’est la presse
qui concentre les plus gros budgets. "Mademoiselle Ambre Solaire",
inventée par Lucien Lorelle, s’affiche dans le métro
et le photographe met en scène Gérard Philipe pour une
campagne sur la lecture qui couvre les murs de la France entière.
Les calendriers qu’ils soient à l’initiative de chrétiens
de gauche ou de L’Humanité font eux aussi référence
aux thèmes récurrents de la photographie humaniste.
La voiture dont la commercialisation est en pleine expansion donne lieu
à de multiples commandes. Doisneau fait la couverture du rapport
annuel de Simca (1956) et Renault édite un livre sur ses usines
en collaboration avec les photographes les plus réputés.
Pierre Boucher ne cachait pas que le plan Marshall, dont il dirigea
les services graphiques, fut une source de revenus considérables
et d’opportunités de commandes vantant le renouveau de
l’Ouest sous l’égide américaine, grâce
à des opérations comme "Le train de l’Europe".
De grands organismes tels l’ONU ou l’Unesco et des ministères
usent également des thèmes récurrents dans leurs
campagnes d’images promotionnelles. La direction de la Documentation
et de la Diffusion française, qui dépend du ministère
de l’Information dans le cadre de ses missions de documentation
et d’édition, publie La Documentation photographique
sous forme de portfolios thématiques et de plaquettes à
l’adresse des enseignants. Pour cela, elle passe des commandes
à la plupart des photographes qui puisent également dans
leurs archives. L’un des commanditaires les plus importants est
le Commissariat général au tourisme qui organise de véritables
campagnes de prise de vue à travers le pays pour des dépliants,
des affiches et des brochures. En 1959, un programme d’affiches
intitulé "France vivante" privilégie des images
"vivantes et animées". Si les opérateurs sont
en majorité des Parisiens, des photographes ancrés dans
leur terroir comme Yan et des étrangers comme Ina Bandy offrent
un œil neuf qui s’inscrit bel et bien dans la photographie
humaniste.
Vers le statut d'œuvre d'art
La guerre d’Espagne a formé de grands reporters photo,
la guerre du Vietnam intronise la télévision qui marque
la fin des photographes illustrateurs et le déclin des grands
périodiques illustrés.
Au cours de cette même période, Hubert Damisch analyse
le caractère éphémère de la photographie
dont la spécificité se situe moins au niveau de sa production
que de sa consommation. Sous l’influence d’Otto Steinert,
et en opposition à la photographie humaniste, se développe
la "Subjektive Fotografie" qui exclut l’image professionnelle
de ses expositions et prône le tirage 30 x 40 comme œuvre
d’art. Ce courant, né en Allemagne, privilégie la
vision personnelle comme démarche esthétique valorisant
l’acte créateur de l’auteur. Son influence en Europe
et aux États-Unis reste circonscrite à un milieu restreint
de photographes. Dans les années 1960, alors que le Groupe des
XV est à bout de souffle et que celui des Trente-quarante, initié
par Roger Doloy, reste très marginal, de jeunes auteurs et des
critiques se rassemblent pour promouvoir une autre photographie. Pour
s’élever contre le conformisme qui s’empare de la
photographie française, ils tentent, sans y parvenir, de fédérer
les illustrateurs toujours isolés. Mais c’est la création
des Rencontres internationales de la photographie d’Arles, en
1970, et la venue dans les années qui suivent d’Imogen
Cunningham, d’Ansel Adams, d’Eugène Smith qui marquent
un véritable tournant en reconnaissant le photographe non comme
un simple illustrateur ou un reporter mais comme un auteur.