Alberto Manguel
Listes, inventaires, catalogues
La bibliothèque d'Alexandrie et ses catalogues servirent de modèles, d'abord aux bibliothèques de la Rome antique, ensuite à celles de l'Orient byzantin et plus tard à celles de l'Europe chrétienne.
La première bibliothèque connue de l'Eglise catholique romane, fondée dans les années 380 par le pape Damase Ier dans l'église S. Lorenzo, contient non seulement des livres chrétiens – la Bible, des ouvrages de commentaires et un choix des apologistes grecs, mais aussi plusieurs classiques grecs et romains.
L'acceptation des anciens n'allait pas encore sans discrimination ; au milieu du Ve siècle, Sidoine Apollinaire, commentant la bibliothèque d'un ami, déplore que les auteurs païens soient séparés des chrétiens – les païens près des sièges réservés aux messieurs, les chrétiens près de ceux des dames).
Comment, dès lors, cataloguer des écrits aussi divers ? Les possesseurs des premières bibliothèques chrétiennes recensaient leurs livres en fonction des rayonnages. Les bibles venaient d'abord, et puis les gloses, les œuvres des pères de l'Eglise (saint Augustin en tête), la philosophie, le droit et la grammaire. Les livres médicaux figuraient parfois en fin de liste. Comme, pour la plupart, les livres n'avaient pas d'intitulé officiel, on leur attribuait un titre descriptif ou on désignait un ouvrage à l'aide des premiers mots du texte. L'alphabet servait parfois de clef pour retrouver un volume. Au Xe siècle, par exemple, le grand vizir de Perse, Abdul Kassem Isma‘ il, afin de ne pas se séparer durant ses voyages de sa collection de cent dix-sept mille volumes, faisait transporter ceux-ci par une caravane de quatre cents chameaux entraînés à marcher en ordre alphabétique.
En Europe médiévale, le plus ancien spécimen d'inventaire par sujets est celui de la bibliothèque de la cathédrale du Puy, au XIe siècle, mais longtemps ce type de catalogue ne représenta pas la norme. Dans de nombreux cas, les catégories des livres n'étaient établies que pour des raisons pratiques. A Cantorbéry, dans les années 1200, la position sur les listes des livres de la bibliothèque de l'archevêque était fonction des facultés qui en faisaient le plus grand usage. En 1120, Hugh de Saint Victor proposa un système de catalogage dans lequel le contenu de chaque livre se trouvait brièvement résumé (comme dans un abrégé moderne) et placé dans l'une des trois catégories correspondant à la division tripartite des arts libéraux : théorique, pratique ou mécanique.
Alberto Manguel, Une histoire de la lecture, Actes Sud 1998