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Censure du livre au XVIe siècle

Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard

Formes de censure au XVIe siècle
À la fin du XVIe siècle, le sévère jésuite Jacob Gretser publia une défense de la censure sous ce titre explicite : Des lois et coutumes concernant l'interdiction, l'expurgation et la destruction de livres hérétiques et nuisibles.
Compte tenu de son érudition, Gretser fut nommé conseiller de l'Église catholique lors de la rédaction, à Madrid, en 1612, de l'Index des livres prohibés. Il mit cette même érudition au service de l'argument (que beaucoup trouvaient évident) que la censure des livres est commune à tous les peuples de tous les temps. L'infâme généalogie de Gretser commence aux païens qui ont brûlé le traité de Cicéron De la nature des dieux (parce qu'il penchait trop en faveur du monothéisme, selon une vieille histoire non prouvée), et se poursuit jusqu'aux destructions de livres par les disciples de Luther et de Calvin.
S'il avait été capable de voir l'avenir, il aurait pu ajouter à sa liste les livres "dégénérés" condamnés au bûcher par les nazis, les œuvres d'auteurs "bourgeois" proscrites par Staline, les publications de "griffonneurs communistes" exilés par le sénateur McCarthy, les livres détruits par les talibans, par Fidel Castro, par le gouvernement de Corée du Nord, par les fonctionnaires des Douanes canadiennes. Le livre de Gretser est en vérité l'histoire officieuse de ces bibliothèques colossales qui murmurent dans les vides des étagères.
Alberto Manguel, La Bibliothèque la nuit, Actes Sud, 2006