L’œuvre de Gormezano et Minot est là comme un grand animal vivant. Il a fallu vingt ans pour qu’il se forme. Le grand serpent ondule. Ici rien n’est déduit, rien n’est raisonné. Tout a germé, bourgeonné, cellule après cellule. Être biologique, comme chacun d’entre nous, comme une plante fidèle à sa graine. L’art comme « vie des formes » (Focillon) s’enroule sur soi et avance. Il n’a nul besoin de prétextes car avant l’art il n’y a rien.
La terre est tout ce qui est fermé, opaque, noir et impénétrable. La pensée n’y a pas accès. Le monde au contraire est le transparent, qui se donne clairement et s’institue ordre des choses. Nul ne pourrait vivre dans le sein de la terre sans y périr étouffé. La vie n’est possible que dans un monde respirable, construit. Or l’art participe des deux. Seul il a le pouvoir d’arracher à la terre des germes de naissance et des mottes de présence, et de faire éclore depuis sa profondeur de glaise des fleurs noires qui émergent de la nuit informe. Ainsi, la terre est ce qui se ferme sur soi-même et absorbe toute lumière, mais aussi bien est-elle puissance de fécondité et lieu propice à toutes les éclosions. Si l’art peut « faire venir la terre », c’est aussi qu’il est complicité avec la folie, le monstrueux, la négation.
Mais, son autre face, l’art la tourne en même temps vers le monde. Plutôt, il fait être le monde pour nous, un monde qui n’est pas encore préparé, arrangé, habitué. Un monde au début de lui-même, naissant, s’ouvrant et prenant forme. L’art adossé aux ténèbres de la terre alors donne forme au monde. Il est de la nature de l’aube.
Je ne connais aucune œuvre qui, dans son étendue et sa continuité, s’égale et corresponde si parfaitement à cette définition de l’art par Martin Heidegger. Adéquate non par démonstration et symbolisme, mais par incarnation.
Seul l’art parvient à la hauteur de la philosophie. Ils sont deux sommets égaux et leurs chemins se valent sans pour autant qu’il faille les confondre. Gormezano et Minot ont pris le chemin de l’art et, puisque ce ne peut être un chemin d’idées, ce sera cette fois le chemin du serpent.