Au commencement était la danse, au commencement était la boue. Dansant au rythme de son corps et selon la résistance de la boue, Minot les unit. Très lentement. Mêlant les formes à celles des roches enfantées par les siècles, Minot nous rappelle que la montagne n’est qu’une vague très lente.
Dans les instants choisis par Gormezano, la danse ne décrit pas des signes. Elle ne découpe pas l’espace en éloquents tracés. Nous sommes au-delà des significations et même au-delà des formes : le corps s’est fait matière originelle. Il se confond avec les roches parmi lesquelles il rampe, parce qu’elles aussi rampent, plus lentement encore. Le biologique naît à sa conscience par retour au géologique.
Voici que l’homme se dégage, s’accroche, escalade, grimpe, fragile et nu, dans un univers écrasant.
Enfer de Dante,
Prisons de Piranèse. Mais les damnés de Dante subissaient la loi de Dieu, les prisonniers de Piranèse commençaient à subir la loi de l’État. Ici c’est une matière sans raison qui menace d’écraser un être solitaire, obstiné, partie d’elle-même et qui pourtant la pense. Pour seuls compagnons, ces rochers et cette boue, fermés autant que cet être l’est à lui-même.
Silence et Solitude atteignent leur juste lieu d'être non des états, mais des vertus.
La mort n'est jamais là. Au plus creux des tombes, dans les corps recroquevillés, desséchés, demeure un germe de vie. Pas de squelettes ricanant d'un air bête. Graines endormies. Ces croûtes terreuses sont prêtes à se fendiller comme des coquilles. Et elles se fendillent. Les paquets mortuaires n'étaient pas des momies et les voici qui, lentement, se déploient. Chrysalides. Déjà frémissement d'ailes transparentes.
Donc aucunement la mort, mais le sommeil de la vie. Parfois celle-ci retourne en arrière, regagne l'origine. C'est sa façon de casser toute élaboration intellectuelle. Passages de la vie à la vie. Nous ne la quittons jamais.
Quand la lumière jaillit à pleins bords, quand le ciel envahit l’espace, Minot se prosterne. Au début l’évadé de la caverne de Platon ne pouvait regarder vers le soleil. Mais Minot ne célèbre aucun culte. C’est la Beauté qui l’écrase, celle des choses. Avec deux rangées de cailloux Gormezano et Minot ont construit un
templum. Ils ont rejoint la simplicité des premiers âges, celle du temps d’aucune religion, seulement le sacré. Accueil du mystère entre deux cailloux, et humilité.
Les nuages qui dérivent entre les sommets annoncent des mondes encore à venir.