Ces triptyques pointent donc, au terme de ce qu’ils réfléchissent, le procès de maturation de l’image et travaillent à mettre à l’épreuve la photographie elle-même, dans sa capacité (miraculeuse) à capter l’imperceptible mouvement de la vie. Est-ce l’inconscient visuel de ce triptyque ? Mais la photographie fut créditée, à travers l’épisode du suaire de Turin, du pouvoir, déjà, de saisir et de conserver dans ses tissus l’empreinte quasi photographique du flash de la résurrection ! La sindonologie (l’étude du suaire) a d’ailleurs creusé cet espoir exorbitant que la photographie servirait ainsi à traquer précisément ce qui se dérobait au regard, qu’elle était à la croisée du visible. C’est bien ce point aveugle de la perception que fixent les triptyques de Minot-Gormezano. Ils mettent face au spectacle de la forme surgissant de l’informe, de l’invisible devenu visible, de l’absence convertie en présence, du volume relevant la surface plane. Sans doute, en passant, rencontrent-ils la question de l’esthétique à travers deux arts dissemblables – la sculpture, avec ses matériaux privilégiés, le plâtre et la glaise (ces corps s’arrachant à la matière font penser aux Prisonniers de Michel-Ange), et le dessin, puisque la série se prolonge et se décline également dans une version « dessinée ». Le corps photographié oscille ainsi entre un devenir volume et un devenir trait. Logique de la matière et du contour que paraît devoir réconcilier la photographie.
Entre ces deux dimensions, la photographie s’expose ainsi, déplie ce qu’elle a de plus intime et de plus merveilleux : le processus de révélation, de solarisation, qui tire le corps photographié de l’obscurité de la matière à la lumière du dehors. Leçon d’anatomie qui désosse la photographie elle-même et fait de cette série une méditation sur la « visibilité », sur le passage de la boue originelle, informe chair du monde, à la mise au jour, à la mise au monde d’une forme, corps enfin donné à voir.