Le triomphe
du globe
Aux XVe et XVIe siècles, le globe terrestre s’affirme comme modèle réduit de la Terre. Les grands voyages de découvertes et l’exploration des nouveaux mondes confirment la sphéricité de la Terre et en précisent la géographie. L’art du géographe, joint à celui de l’astronome, est à la base de la cosmographie. Le triomphe du modèle sphérique en Europe s’incarne sous la forme de la paire de globes – terrestre et céleste – produite en série grâce à la gravure et largement diffusée dans la société. Le globe prend un symbole polysémique de puissance, de la connaissance et de la vanité du monde.
À la Renaissance, les navigateurs européens explorent le monde et en précisent peu à peu les contours. La forme sphérique de la Terre se trouve vérifiée empiriquement et le « globe artificiel » de notre planète devient le vecteur de diffusion de cette nouvelle image du « globe terraqué », un ornement de prestige et un instrument didactique au service des écoles. La passion de l’Europe moderne pour les globes devient peu à peu universelle.
Le globe terrestre, témoin des grandes découvertes
La période de la Renaissance européenne et de l’exploration des nouveaux mondes confirme la sphéricité de la Terre et précise sa géographie. Le globe, navigable de part en part depuis le tour du monde de Magellan, n’est plus un objet de spéculation et les globes terrestres commencent à être réalisés, de plus en plus nombreux, de manière dissociée ou conjointe aux globes célestes. Le globe est à la fois un outil au service des explorateurs et des navigateurs et un moyen de restitution des nouvelles découvertes qui font éclater les limites de l’oekoumène antique.
Le globe représente un état parfait, sans déformation, de la somme des savoirs géographiques anciens et des nouvelles découvertes. On voit ainsi, sur un globe manuscrit dit « Globe vert » de 1506, les débuts de la représentation de l’Amérique sous forme d’un continent nommé « America », encore absent du grand globe de Martin Behaim en 1492. De même, le voyage autour du monde de Fernand de Magellan (1519-1522) est retracé sur le « Globe doré » (vers 1535) et sur le planisphère nautique de Battista Agnese (1543).
Après un premier partage des nouveaux mondes entre le Portugal et l’Espagne, la France et l’Angleterre envoient à leur tour leurs vaisseaux vers les Amériques, enjeu de rivalité économique et politique entre les grandes puissances. Le grand planisphère (1544) du navigateur Sébastien Cabot, au service du roi Henri VIII d’Angleterre puis de l’empereur germanique et roi d’Espagne Charles Quint, représente parfaitement cette situation également illustrée par des globes d’apparat tels que le « globe de Rouen ».
Le savoir du cosmographe
L’art du géographe, joint à celui de l’astronome, est à la base de la cosmographie, discipline reine au XVIe siècle dans l’ordre des savoirs. Les cosmographes tels que Gemma Frisius, Peter Apian ou Gérard Mercator sont des humanistes, experts en mathématique, astronomie et géographie, ainsi qu’en philosophie et en histoire naturelle.
Ils interprètent et relient les phénomènes observés dans le ciel et sur la Terre. Sans s’affranchir de l’héritage ptoléméen, ils apportent de nouvelles méthodes, innovent dans la réalisation de modèles du monde toujours plus sophistiqués, parfois mécaniques comme la sphère de Johann Reinhold (1588).
Fabrique et usages des globes
en Europe
De nombreuses paires de globes imprimées ont été réalisées entre 1600 et 1700. La plupart proviennent d’Amsterdam et sont représentatives de l’âge d’or hollandais de la première moitié du XVIIe siècle. Le procédé de fabrication des globes à partir de fuseaux imprimés sur papier a été inventé au XVIe siècle, permettant de produire des paires de globes terrestres et célestes de mêmes dimensions.
Tout en demeurant artisanal, ce procédé de reproduction a permis la réalisation de paires d’une gamme de tailles et de prix variés. Les globes commencent à se diffuser largement en Europe, parallèlement aux volumineux atlas que vendent les cartographes et commerçants successeurs d’Abraham Ortelius et de Gérard Mercator. Fréquemment représentés dans la peinture de genre hollandaise, ils servent tant à l’enseignement qu’à la navigation, à l’ornementation des intérieurs et à la mise en scène de l’intérêt de leurs possesseurs pour le monde et la science.
Les fabricants de globes d’Amsterdam
Une industrie et un commerce des globes imprimés, culminant avec les fabricants hollandais dans la première moitié du XVIIe siècle, propagent et démocratisent ces supports d’information. Trois dynasties de fabricants de globes rivalisent à Amsterdam : les Van Langren, les Hondius et les Blaeu qui, attentifs à faire figurer sur leurs globes les plus récentes découvertes géographiques et astronomiques, se copient mutuellement jusque dans le style.
Le modèle de la paire de globes, terrestre et céleste, s’impose partout en Europe et les globes se déclinent en gammes d’objets de plusieurs formats. Ces ensembles d’éditeurs deviennent le modèle canonique de représentation du monde.
L’exportation du modèle sphérique en Extrême-Orient
Si les voyages et les échanges élargissent les horizons et enrichissent les représentations des Européens, ils leur permettent également d’exporter leur savoir et leur vision sphérique du monde vers les autres continents, en particulier l’Asie, de la Turquie au Japon.
Les missionnaires jésuites européens venus en Chine aux XVIe et XVIIe siècles jouent un rôle essentiel dans les échanges scientifiques entre l’Orient et l’Occident. Leur savoir en astrologie, cosmologie, géographie se diffuse en Chine et dans les pays voisins comme la Corée et le Japon.
La symbolique du globe : pouvoir, savoir et vanité
Objet chargé d’une somme de connaissances sans cesse complétée et actualisée, le globe, qu’il soit terrestre ou céleste, devient un objet familier dont la représentation dans les arts se déploie dans une grande variété de formes et de sens symboliques : pouvoir, savoir, vanité du monde et des œuvres humaines, le globe recouvre désormais un vaste champ sémantique. Il en va de même pour les sphères armillaires, objets plus rares, parfois joyaux de mécanique, qui restituent l’agencement des principales sphères dont celle de la Terre et celle des étoiles fixes dans la grande mécanique céleste et cosmologique.
À la fin du XVIIe siècle, la démesure des grands globes de Coronelli offerts au roi Louis XIV incarne à la fois le triomphe et les limites d’un modèle encyclopédique cumulatif qui ne cesse de s’enrichir d’informations et de symboles souvent déjà dépassés par les progrès de la science à l’aube des Lumières.
Les Globes de Coronelli
Ces globes, réalisés en 1683 par le cosmographe vénitien Vincenzo Coronelli, ont été offerts à Louis XIV par le cardinal d’Estrées. Ils offrent une représentation synthétique de la Terre et du ciel. Ce sont des objets de science et des emblèmes du pouvoir, exceptionnels par leur dimension (plus de 2,3 tonnes pour 4m de diamètre), qui étaient à l’origine destinés au château de Versailles et sont aujourd’hui visibles dans le Hall Ouest de la BnF.
Le globe terrestre est fascinant par la richesse d’information et la diversité de scènes marines et terrestres, tantôt fabuleuses, tantôt exotiques, tantôt techniques. Le globe céleste, qui représente la position des planètes le jour de la naissance de Louis XIV, le 5 septembre 1638, comprend près de deux mille étoiles regroupées en soixante-dix constellations ainsi que plusieurs novae observées depuis 1572 et une dizaine de comètes.
Le globe, symbole de puissance
Dans la continuité de l’Antiquité et du Moyen Âge, l’orbe reste un symbole du pouvoir souverain : des empereurs, son usage s’étend à de nombreux monarques, en Espagne, en Angleterre ou en France.
Adopté par de nombreux rois chrétiens, le globe crucifère ne fera jamais partie, en France, des insignes du pouvoir royal. Cependant, l’iconographie de cour emprunte largement à la symbolique de la sphère pour célébrer la puissance des rois de France, tels Henri IV chevauchant le globe ou Louis XIV figuré en Apollon. Des ministres s’emparent aussi du globe comme signe de puissance, mais aussi du poids de leur charge. Ainsi Colbert est peint avec une pendule ornée d’un Atlas portant la sphère du monde.
Le globe, symbole de la connaissance
Modèles du ciel, de la terre ou du cosmos tout entier, les sphères deviennent aussi synonymes de la connaissance et sont associées aux hommes, aux lieux et aux œuvres qui célèbrent ou protègent les arts et les sciences. Modèle réduit de l’univers, le globe incarne l’aspiration à la connaissance universelle. Présent dans les cabinets de curiosités, les bibliothèques et les allégories des arts, il s’impose dans les portraits comme l’attribut de l’astronome, du géographe ou de tous ceux qui se dédient aux arts et aux sciences.
Le globe, symbole de la vanité du monde
L’image positive de la sphère s’assombrit au XVIe siècle suite à l’éclatement de la Chrétienté occidentale et aux guerres de Religion. La distinction d’Aristote entre monde « supra-lunaire » (au-delà de la Lune), parfait et immuable, et monde « sub-lunaire » voué à l’impermanence, trouve un écho puissant en Europe du Nord. Memento mori, images du « monde retourné », livres d’emblèmes et peintures de vanités invitent le sage à prendre ses distances vis-à-vis des richesses, des illusions du pouvoir et des prétentions du savoir.