Sartre et Leiris
par Michel Sicard


La rencontre de Sartre et Leiris a lieu en octobre 1942. Les deux écrivains se sont lus : Leiris a admiré La Nausée, Sartre L'Âge d'homme (paru en 1939). Simone de Beauvoir raconte comment elle perçut Michel Leiris et se prit d'amitié pour Zette : "Le crâne rasé, strictement vêtu, les gestes guindés, Leiris m'intimida un peu, malgré la cordialité appuyée de son sourire ; mais Zette me mit tout de suite à mon aise ; une jeune fille se survivait dans ses yeux bleus, tandis que sa voix, son accueil avaient une chaleur presque maternelle." (La Force de l'âge, p. 641.) Pendant plusieurs mois, les deux couples ne se quittent plus, profitant de l'hospitalité des Leiris, chez qui Sartre et Beauvoir se réfugient à la suite de l'arrestation d'un des membres du groupe Combat. Leiris soutient en 1943 le roman de Simone de Beauvoir L'Invitée. Il sert d'intermédiaire pour la collaboration de Sartre aux Lettres françaises et à Messages, dirigé par Jean Lescure qui publie les premières pages de Biffures, de La Mort dans l'âme et de L'Âge de raison (décembre 1942, août 1943). En février 1943, Sartre et Leiris sont entrés ensemble au Comité national des écrivains (CNE), où les réunions ont lieu sous la présidence de Paul Eluard. Leiris défend Les Mouches dans un article des Lettres françaises. Il fait rencontrer Georges Bataille à Sartre. Quand le débat sur L'Expérience intérieure (paru en 1943) tourne à la polémique, Leiris, très affecté, ne prend pas parti. Il lit avec rigueur L'Être et le Néant, qui l'amène à évincer de sa pensée l'idée de "transgression". À la suite de la représentation du Désir attrapé par la queue (1944) commencent les "fiestas" que raconte Simone de Beauvoir dans ses mémoires. C'est ainsi que se fait la rencontre avec René Leibowitz, compositeur et musicologue, introducteur en France de la musique sérielle. Leiris et Sartre – ainsi que Picasso – vivent côte à côte, du 15 au 26 août 1944, la libération de Paris, qui leur inspire des récits parallèles. Ils accueillent Patrick Waldberg, arrivé avec l'armée américaine. Leiris fait partie avec Merleau-Ponty, Albert Ollivier, Raymond Aron et Jean Paulhan du premier comité de rédaction des Temps modernes.