"Nous étions arrivés au mouillage,
vis-à-vis de
l'embouchure du Rio Manzanares, le 16 juillet, à la pointe du
toujours ; mais nous ne pûmes débarquer que très-tard
dans la matinée, parce que nous fûmes obligés d'attendre
la visite des officiers du port. Nos regards étoient fixés
sur des groupes de cocotiers qui bordoient la rivière, et dont
les troncs excédant soixante pieds de hauteur dominoient le
paysage. La plaine étoit couverte de touffes de Casses, de Capparis
et de ces Mimoses arborescentes qui, semblables au pin de l'Italie, étendent
leurs branches en forme de parasol. Les feuilles pennées des
palmiers se détachoient sur l'azur d'un ciel
dont la pureté n'étoit troublée par aucune trace
de vapeurs. Le soleil montoit rapidement vers le zénith. Une
lumière éblouissante étoit répandue dans
l'air, sur les collines blanchâtres, parsemées de Cactiers
cylindriques, et sur cette mer toujours calme, dont les rives sont
peuplées d'Alcatras, d'Aigrettes et de Flamants. L'éclat
du jour, la vigueur des couleurs végétales, la forme
des plantes, le plumage varié des oiseaux, tout annonçoit
le grand caractère de la nature .dans les régions équatoriales.
La ville de Cumana, capitale de la Nouvelle-Andalousie, est éloignée
d'un mille de l'embarcadère ou de la batterie de
la Bocca, près
de laquelle nous avions pris terre, après avoir passé la
barre du Manzanares. Nous eûmes à parcourir une vaste
plaine, qui sépare le faubourg des Guayqueries des côtes
de la mer. L'excessive chaleur de l'atmosphère étoit
augmentée
par la réverbération du sol en partie dénué de
végétation. Le
thermomètre centigrade, plongé dans le sable blanc, s'élevoit à 37°,7.
Dans de petites mares d'eau salée, il se soutenoit à 30°,5,
tandis que la chaleur de l'Océan, à sa surface, est généralement,
dans le port de Cumana', de 25°,2 à 26°,3. La première
plante que nous cueillîmes sur le continent de l'Amérique
était l'Avicennia tolmetosa qui, dans cet endroit,
atteint à peine
deux pieds de hauteur. Cet arbuste, le Sesuvium, le Gomphrena jaune
et les Cactiers couvrent les terrains imprégnés de muriate
de soude ; ils appartiennent à ce petit nombre de végétaux
qui vivent en société, comme la bruyère de l'Europe,
et qui ne se trouvent dans la zone torride que sur les rivages de la
mer et sur les plateaux élevés des Andes. L'Avicennia
de Cumana se distingue par une autre particularité non moins
remarquable : elle offre l'exemple d'une plante commune aux plages
de l'Amérique
méridionale et aux côtes du Malabar."
Alexandre Von Humboldt,
Voyage aux régions équinoxiales
du nouveau continent, fait en 1799, 1800, 1801, 1802, 1803 et 1804,
par A. de Humboldt et A. Bonpland, début
du chapitre IV du livre II, pages 289 et 290.
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