|
- Hésiode, Les Travaux et les
jours
- Platon, La République 1
- Platon,
La République 2
- Platon,
La République 3
- Ovide, Les Métamorphoses
- Apocalypse
de Jean : 4
La Jérusalem future
- Saint
Augustin, La Cité de Dieu
|
|
Or, comme point de départ de notre
accord, ne devons nous pas nous demander à nous-mêmes quel est, dans lorganisation
dune cité, le plus grand bien, celui que le législateur doit viser en établissant
ses lois, et quel est aussi le plus grand mal ? Ensuite ne faut-il pas examiner si la
communauté que nous avons décrite tout à lheure nous met sur la trace de ce
grand bien et nous éloigne de ce grand mal ?
On ne peut mieux dire.
Mais est-il plus grand mal pour une cité que ce qui la divise et la rend multiple au lieu
dune ? Est-il plus grand bien que ce qui lunit et la rend une ?
Non.
Eh bien ! la communauté de plaisir et de peine nest-elle pas un bien dans la
cité, lorsque, autant que possible, tous les citoyens se réjouissent ou saffligent
également des mêmes événements heureux ou malheureux ?
Si, très certainement.
Et nest-ce-pas légoïsme de ces sentiments qui la divise, lorsque les uns
éprouvent une vive douleur, et les autres une vive joie, à loccasion des mêmes
événements publics ou particuliers ?
Sans doute.
Or, cela ne vient-il pas de ce que les citoyens ne sont point unanimes à prononcer ces
paroles : ceci me concerne, ceci ne me concerne pas, ceci mest étranger ?
Sans aucun doute.
Par conséquent, la cité dans laquelle la plupart des citoyens disent à propos des
mêmes choses : ceci me concerne, ceci ne me concerne pas, cette cité est
excellemment organisée ?
Certainement.
Et ne se comporte-t-elle pas, à très peu de chose près, comme un seul homme ? Je
mexplique : quand un de mes doigts reçoit quelque coup, la communauté du
corps et de lâme, qui forme une seule organisation, à savoir celle de son principe
directeur, éprouve une sensation ; tout entière et simultanément elle souffre avec
lune de ses parties : aussi disons-nous que lhomme a mal au doigt. Il en
est de même de toute autre partie de lhomme, quil sagisse du malaise
causé par la douleur, ou du mieux-être quentraîne le plaisir.
Il en est de même, en effet. Et pour en revenir à ce que tu demandais, une cité bien
gouvernée se trouve dans une condition très voisine de celle de lhomme.
Quil arrive donc à un citoyen un bien ou un mal quelconque, ce sera surtout une
pareille cité qui fera siens les sentiments quil éprouvera, et qui, tout entière,
partagera sa joie ou sa peine.
Il y a nécessité quil en soit ainsi dans une cité aux bonnes lois.
Maintenant, il serait temps de revenir à notre cité, et dexaminer si les
conditions de notre discours sappliquent tout particulièrement à elle, ou
sappliquent plus à quelque autre cité.
Oui, nous devons procéder ainsi.
Or donc, dans les autres cités, ny a-t-il pas magistrats et gens du peuple, comme
dans la nôtre ?
Si.
Et tous se donnent entre eux le nom de citoyens ?
Comment non ?
Mais, outre ce nom de citoyens, quel nom particulier le peuple donne-t-il, dans les autres
cités, à ceux qui le gouvernent ?
Dans la plupart il les appelle maîtres, et dans les gouvernements démocratiques,
archontes.
Et dans notre cité ? Quel nom, outre celui de citoyen, le peuple donnera-t-il aux
chefs ?
Celui de sauveurs et de défenseurs, répondit-il.
Ceux-ci, à leur tour, comment appelleront-ils le peuple ?
Distributeur du salaire et de la nourriture.
Mais dans les autres cités, comment les chefs traitent-ils les peuples ?
Desclaves.
Et comment se traitent-ils entre eux ?
De collègues dans lautorité.
Et dans la nôtre ?
De collègue dans la garde.
Pourrais-tu me dire si, dans les autres cités, les chefs en usent en amis avec tel de
leurs collègues, et en étrangers avec tel autre ?
Beaucoup agissent de la sorte.
Ainsi, ils pensent et disent que les intérêts de lami les touche, et non ceux de
létranger.
Oui.
Mais chez tes gardiens ? En est-il un seul qui puisse penser ou dire dun de ses
collègues quil lui est étranger ?
Point du tout, puisque chacun croira voir dans les autres un frère ou une sur, un
père ou une mère, un fils ou une fille, ou quelque autre parent dans la ligne ascendante
ou descendante.
Très bien dit, observai-je ; mais réponds encore à ceci : légiféreras-tu
simplement pour quils se donnent des noms de parenté, ou pour que toutes leurs
actions soient en accord avec ces noms, pour quils rendent à leurs pères tous les
devoirs de respect, de sollicitude et dobéissance que prescrit la loi à
légard des parents sous peine dencourir la haine des dieux et des
hommes, en agissant autrement ? Car agir autrement cest commettre une impiété
et une injustice. Sont-ce ces maximes ou dautres que tous tes citoyens feront,
de bonne heure, sonner aux oreilles des enfants, en les entretenant de leurs pères,
quils leur désigneront, et de leurs autres parents ?
Celles-là mêmes, répondit-il. Il serait en effet ridicule quils eussent à la
bouche ces noms de parenté sans remplir les devoirs quils impliquent.
Ainsi dans notre Etat, plus que dans tous les autres, les citoyens prononceront dune
seule voix, quand il arrivera du bien ou du mal à lun deux, nos paroles de
tout à lheure : mes affaires vont bien, ou mes affaires vont mal.
Rien de plus vrai.
Mais navons-nous pas dit quen conséquence de cette conviction et de cette
manière de parler il y aurait entre eux communauté de joies et de peines ?
Si, et nous lavons dit avec raison.
Nos citoyens seront fortement unis dans ce quils nommeront leur intérêt propre,
et, unis de la sorte, éprouveront joies et peines en parfaite communion.
Oui.
Or, quelle en sera la cause sinon en dehors de nos autres institutions la
communauté des femmes et des enfants établie chez les gardiens ?
Assurément cen sera la principale cause.
Mais nous sommes convenus que cette union dintérêts était, pour la cité, le plus
grand bien, lorsque nous comparions une cité sagement organisée au corps, dans la façon
dont il se comporte à légard dune de ses parties, pour ce qui est du plaisir
et de la douleur.
Et nous en sommes convenus à bon droit.
Par suite, il est pour nous démontré que la cause du plus grand bien qui puisse arriver
à la cité est la communauté, entre les auxiliaires, des enfants et des femmes.
Certainement.
Ajoute que nous sommes daccord avec nos précédents propos. Car, avons-nous dit,
ils ne doivent avoir en propre ni maisons, ni terres, ni aucune autre possession, mais,
recevant des autres citoyens leur nourriture, comme salaire de la garde, ils la doivent
mettre en commun, sils veulent être de vrais gardiens.
Fort bien.
Dès lors nai-je pas raison daffirmer que nos dispositions antérieures,
jointes à celles que nous venons de prendre, feront deux, plus encore, de vrais
gardiens, et les empêcheront de diviser la cité, ce qui arriverait si chacun ne nommait
pas siennes les mêmes choses, mais des choses différentes ; si, habitant
séparément, ils tiraient dans leurs maisons respectives tout ce dont ils pourraient
sassurer la possession pour eux seuls ; et si, ayant femme et enfants
différents, ils se créaient des jouissances et des peines personnelles tandis
quavec une croyance identique touchant ce qui leur appartient, ils auront tous le
même but et éprouveront, autant que possible, mêmes joies et mêmes
douleurs ?
Cest incontestable.
Mais quoi ? ne verra-t-on pas à peu près disparaître procès et accusations
réciproques dune cité où chacun naura à soi que son corps, et où tout le
reste sera commun ? Ne sensuit-il pas que nos citoyens seront à labri de
toutes les dissensions que fait naître parmi les hommes la possession de richesses,
denfants et de parents ?
Il y a grande nécessité quils soient délivrés de tous ces maux.
De plus, aucune action pour violences ou voies de fait ne sera légitimement intentée
chez eux ; car nous leur dirons quil est noble et juste que des égaux se
défendent contre les égaux, et nous leur ferons un devoir de vieller à leur sécurité
corporelle.
Cette loi, repris-je, a encore lavantage que voici : lorsquun citoyen
semportera contre un autre, sil assouvit sa colère de cette façon, il sera
moins porté, ensuite, à aggraver le différend.
Sans doute.
Nous aurons donné au plus âgé autorité sur quiconque sera plus jeune, avec droit de
punir.
Cest évident.
Il lest aussi que les jeunes gens nessaieront pas, sans un ordre des
magistrats, duser de violence à légard dhommes plus âgés, ni de les
frapper ; ils ne les outrageront pas non plus, je crois, daucune autre
manière, car deux gardiens suffiront à les empêcher : la crainte et le
respect ; le respect en leur montrant un père dans la personne quils veulent
frapper, la crainte en leur faisant appréhender que les autres ne se portent au secours
de la victime, ceux-ci en qualité de fils, ceux-là en qualité de frères ou de pères.
Il ne peut en être autrement.
Ainsi, de par nos lois les guerriers jouiront entre eux dune paix parfaite.
Dune grande paix, certes.
Mais sils vivent eux-mêmes dans la concorde, il nest point à craindre que la
discorde se mettre entre eux et les autres citoyens, ou quelle divise ces derniers.
Non, assurément.
Quant aux moindres des maux dont ils seront exempts, jhésite, par respect pour les
convenances, à les mentionner ; pauvres, ils ne seront pas dans la nécessité de
flatter les riches ; ils ne connaîtront pas les embarras et les ennuis que lon
éprouve à élever des enfants, à amasser du bien, et qui résultent de
lobligation où lon est, pour cela, dentretenir des esclaves ; ils
nauront pas, tantôt à emprunter, tantôt à renier leurs dettes, tantôt à se
procurer de largent par tous les moyens pour le mettre à la disposition de femmes
et de serviteurs, en leur confiant le soin de le ménager : ils ignoreront enfin, mon
ami, tous les maux que lon endure dans ces cas maux évidents, sans noblesse,
et indignes dêtre cités.
Oui, ils sont évidents, même pour un aveugle.
Ils seront délivrés de toutes ces misères et mèneront une vie plus heureuse que la vie
bienheureuse des vainqueurs Olympiques.Platon, La République, IVe s. av. J.-C. |
|
|
|