Platon
La République - 2
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- Platon, La République 3

- Ovide, Les Métamorphoses

- Apocalypse de Jean : 4
La Jérusalem future

- Saint Augustin, La Cité de Dieu


Comment donc, Glaucon, notre cité sera-t-elle ébranlée ? par où s’introduira, entre les auxiliaires et les chefs, la discorde qui dressera chacun de ces corps contre l’autre et contre lui-même ? Veux-tu qu’à l’exemple d’Homère nous conjurions les Muses de nous dire comment la discorde survint pour la première fois ? Nous supposerons que, jouant et plaisantant avec nous ainsi qu’avec des enfants, elles parlent, comme si leurs propos étaient sérieux, sur le ton relevé de la tragédie.
Comment ?
A peu près ainsi : il est difficile qu’un Etat constitué comme le vôtre s’altère ; mais, comme tout ce qui naît est sujet à la corruption, ce système de gouvernement ne durera pas toujours, mais il se dissoudra, et voici comment. Il y a, non seulement pour les plantes enracinées dans la terre, mais encore pour les animaux qui vivent à sa surface, des retours de fécondité ou de stérilité qui affectent l’âme et le corps. Ces retours se produisent lorsque les révolutions périodiques ferment les circonférences des cercles de chaque espèce, circonférences courtes pour celles qui ont la vie courte, longues pour celles qui ont la vie longue. Or, quelque habiles que soient les chefs de la cité que vous avez élevés, ils n’en obtiendront pas mieux, par le calcul joint à l’expérience, que les générations soient bonnes ou n’aient pas lieu ; ces choses leur échapperont, et ils engendreront des enfants quand il ne le faudrait pas. Pour les générations divines il y a une période qu’embrasse un nombre parfait ; pour celles des hommes, au contraire, c’est le premier nombre dans lequel les produits des racines par les carrés – comprenant trois distances et quatre limites – des éléments qui font le semblable et le dissemblable, le croissant et le décroissant, établissent entre toutes choses des rapports rationnels. Le fond épitrite de ces éléments, accouplé au nombre cinq, et multiplié trois fois donne deux harmonies : l’une exprimée par un carré dont le côté est multiple de cent, l’autre par un rectangle construit d’une part sur cent carrés des diagonales rationnelles de cinq, diminués chacun d’une unité, ou des diagonales irrationnelles, diminués de deux unités, et, d’autre part, sur cent cubes de trois. C’est ce nombre géométrique tout entier qui commande aux bonnes et aux mauvaises naissances, et quand vos gardiens, ne le connaissant pas, uniront jeunes filles et jeunes gens à contretemps, les enfants qui naîtront de ces mariages ne seront favorisés ni de la nature, ni de la fortune. Leurs prédécesseurs mettront les meilleurs d’entre eux à la tête de l’Etat ; mais comme ils en sont indignes, à peine parvenus aux charges de leurs pères, ils commenceront de nous négliger, quoique gardiens, n’estimant pas comme il conviendrait d’abord la musique, ensuite la gymnastique. Ainsi vous aurez une génération nouvelle moins cultivée. De là sortiront des chefs peu propres à veiller sur l’Etat, et ne sachant discerner ni les races d’Hésiode, ni vos races d’or, d’argent, d’airain et de fer. Le fer venant donc à se mêler avec l’argent, et l’airain avec l’or, il résultera de ces mélanges un défaut de convenance, de régularité et d’harmonie – défaut qui, partout où il se rencontre, engendre toujours la guerre et la haine. Telle est l’origine qu’il faut assigner à la discorde, en quelque lieu qu’elle se déclare.
Nous reconnaîtrons, dit-il, que les Muses ont bien répondu.
Nécessairement, observai-je, puisqu’elles sont des Muses.

Platon, La République, IVe s. av. J.-C.